Le saviez-vous ? En ce moment se tiennent les Etats généraux de la qualité de l’air, un des produits dérivés du Grenelle de l’environnement. Ils auraient fort bien pu passer inaperçus si la ministre de l’Environnement, Nathalie Kosciusko-Morizet, n’y avait d’ores et déjà annoncé une mesure spectaculaire pour faire baisser la pollution en ville: 10 millions de véhicules, – deux roues, utilitaires, camions et voitures – immatriculés avant 1997 seront interdits de centre-ville dans huit agglomérations, entre 2012 et 2015. Et il ne s’agit pas d’une mesure incitative, comme souvent jusque là en matière de qualité de l’air : à Paris, Saint-Denis, Lyon, Grenoble, Clermont-Ferrand, Nice, Aix-en-Provence et Bordeaux, ces véhicules seront purement et simplement interdits de voie publique sous peine d’amende.
La mesure est déjà pratiquée dans certaines villes de Suède ou d’Allemagne, avec succès explique le ministère. Avec un tel argument, qui oserait protester ? D’ailleurs, on ne proteste pas : il ne fait pas bon douter par chez nous du principe de précaution.
L’éradication de ces véhicules peu citoyens devrait, nous dit-on, faire baisser le nombre de particules qui empoisonnent l’air et provoquent de l’asthme, des troubles cardiaques et entraînent une surmortalité chez les personnes les plus fragiles. Honnêtement qui peut s’opposer à cela ?
Et bien moi, par exemple. Parce qu’en pratique, ce n’est rien d’autre qu’une mesure discriminatoire. J’imagine, peut-être bêtement, que ce sont souvent les ménages les plus modestes, ou les jeunes qui débutent dans la vie active qui conduisent les voitures les plus anciennes ou les mobs les plus décaties. Au pilori ! Haro aussi sur l’épicier du coin qui livre dans un estafette hors d’âge. Je croyais -peut-être bêtement, me répéterai-je- que le contrôle technique de plus en plus contraignant auquel sont soumis les véhicules garantissait que leur niveau de pollution était acceptable. Moyennant quoi, cette mesure de santé publique, annoncée ainsi, passe pour un emmerdement de plus, voire une humiliation pour ceux qui ont besoin de leur voiture pour aller travailler, ou même, quel scandale !, pour aller au resto ou au cinéma le vendredi soir.
C’est la manière la plus efficace de rendre l’écologie de bon sens impopulaire. Et de donner l’impression, une fois de plus, d’un deux poids, deux mesures. Et je me mets à la place du conducteur de Clio millésimée qui aura sans doute des pensées terribles, quand il croisera en ville un énorme 4X4 flambant neuf -avec ses vitres teintées noir foncé et son pare-buffle écrase-piétons- qui, lui, pourra continuer à polluer tranquillement…
On a beaucoup moqué, et à juste titre l’ex-maire ex-gauchiste de Londres, Ken Livingstone, quand il a exigé qu’on achète une vignette pour pouvoir circuler en centre-ville. On l’a accusé de vouloir rétablir l’octroi, et de s’abriter derrière des arguments sanitaires pour empêcher de facto les pauvres de venir gâcher le paysage des vieux banquiers et des jeunes traders. Et bien chez nous, ce sera encore mieux : pour rouler dans un rayon de quatre kilomètres autour de Notre-Dame, de la place des Quinconces ou du cours Mirabeau, ce n’est pas une vignette qu’il faudra acheter, mais une voiture neuve…
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