Il est des décisions qui font l’unanimité (ou presque) et qui sont pourtant des sottises. La suppression en 1993 de la terminale C par M. Bayrou appartient à cette catégorie. À l’époque, une seule voix s’était élevée pour dénoncer cette mise à mort : celle de M. Legrand, qui avait été un admirable et très pédagogue professeur de classe préparatoire à Lille et un non moins remarquable doyen de l’inspection de mathématiques. Il dénonçait les dangers de cette régression et tout ce qu’il a annoncé dans la tribune du Monde où il s’est exprimé, s’est produit, mais il a parlé dans le vide. L’heure était à la dénonciation de « la dictature des mathématiques ». Il est vrai que des dérives avaient eu lieu. Il fallait un bac C pour toutes les études supérieures ou presque. Les mathématiques enseignées devenaient délirantes. Je me souviens d’une définition de la droite donnée en quatrième qui, si elle était juste, relevait de la folie furieuse. 90 % des reçus au Capes de mathématiques de 2017, seraient incapables de la comprendre tellement elle était pointue (et absurde !). Nicolas Bourbaki, qui a commis un livre complet pour définir l’égalité, régnait alors en maître.
Le niveau en maths s’est effondré…
En 1993, une réforme était indispensable. On aurait dû revenir dans le secondaire à des mathématiques plus simples, plus concrètes. Il fallait lutter contre la suprématie de la terminale C et faire en sorte qu’elle reprenne son rôle initial : être la porte obligée des études scientifiques et non servir de marchepieds à toutes les autres filières. Mais M. Bayrou, applaudi par la France entière, a jeté le bébé avec l’eau du bain et supprimé (ou presque) les mathématiques du cursus du lycée. La Terminale S (même s’il y a eu quelques menus progrès lors de la dernière révision de programme) est bien en-dessous de l’ancienne terminale D. Pire, le niveau en math de S en 2017 est en algèbre bien moins développé que celui des sections économiques de 1990 !
Le résultat ne s’est pas fait attendre. Nous avons plongé dans les profondeurs du classement PISA et nos élèves du secondaire sont parmi les plus faibles d’Europe. Paradoxalement même au XXI siècle, nous restons une grande nation mathématique.
…mais les prépas excellent
Nous trustons 21% des médailles Fields (l’équivalent des prix Nobel dans cette matière). Seuls les États-Unis nous dépassent avec 23%. Notre suprématie dans cette récompense tire son origine de l’école normale, qui est sans équivalent dans le monde. Attirer les meilleurs mathématiciens en leur offrant un salaire pour étudier est tout simplement génial. L’autre raison de notre succès tient à l’existence des classes préparatoires si décriées, mais qui, à mon avis, constituent pourtant le meilleur modèle possible. Pour moi, tout pays normalement gouverné devrait les introduire. Les professeurs de prépas ont dû s’adapter et faire en deux ans ce qu’on faisait autrefois en trois. Nos étudiants de 20 ans n’ont pas le même bagage (et de loin) que leurs aînés mais ils sont néanmoins suffisamment affûtés pour devenir d’excellents ingénieurs ou chercheurs. L’université a aussi toute sa part dans ce cocorico national, car il existe un maillage d’excellentes formations de L3 et de masters dans toute la France.
Les maths essentielles à la nation…
Le match prépas / facultés est ridicule. On devait supprimer les L1 et L2 des universités scientifiques et toutes les faire basculer sur le modèle des classes préparatoires. En revanche, les facultés sont sans rivales (hors Normale-Sup) pour la poursuite des études après la licence et pour la recherche.
Pourquoi me direz-vous mettre l’accent sur les maths, qui sont le symbole de l’abstraction ? Elles sont en fait essentielles pour l’économie et le développement d’une nation. On les retrouve partout. Même les développements les plus pointus peuvent avoir des résultats pratiques. Par exemple, les groupes qui sont une partie « ésotérique » de l’algèbre servent en chimie des cristaux. L’unification de la mécanique quantique et relativiste qui permettrait à la science de faire un bond de géant (y compris dans la vie courante) est freinée, car les structures mathématiques nécessaires ne sont pas au point
En outre, les maths servent à lutter contre les inégalités. Le général de Gaulle et ses ministres de l’éducation ont, dans les années soixante, volontairement mis l’accent sur elles pour ses qualités propres mais aussi parce qu’elles ne sont pas corrélées aux classes sociales.
…et à l’ascension sociale
Un enfant né dans une famille modeste a autant de chance de réussir dans cette matière qu’un rejeton des classes favorisées, alors que les langues, le français, l’expression et l’aisance à parler reflètent impitoyablement les origines sociales. La régression de 1993 et la suppression de la terminale C explique peut-être la panne de l’ascenseur social que nous connaissons actuellement.
M. Macron veut réformer le bac. Son ministre, M. Blanquer pourfend la bien-pensance (qui en éducation n’est qu’un moyen de maintenir la domination des classes favorisées).
Nous avons une occasion unique de réparer les dégâts causés par M. Bayrou. Il faudrait récréer sous une forme ou une autre une seconde, une première et une terminale, en revalorisant les maths, en faisant la part belle à l’informatique et en réintroduisant en physique les équations qui ont chassé du secondaire au profit d’un bougi bola indigeste. Osera-t-on le faire et serait-ce encore une occasion ratée ?
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