Longtemps sous-estimée – car on la pensait cantonnée au sud de l’Italie – la mafia nigériane a étendu ses tentacules dans les bas-fonds des autres pays de l’Union européenne… et singulièrement en France. Spécialisée dans la traite des êtres humains, elle met sur les trottoirs du vieux continent des malheureuses “possédées” par des esprits invoqués lors de séances vaudou.
La stupeur frappa les Parisiens fin novembre 2019, lorsqu’au Palais de justice de l’Ile de la Cité, un procès inédit révéla que des protagonistes d’un réseau de prostitution nigériane n’hésitaient pas à forcer des fillettes à se prostituer dans les bois de Vincennes et de Boulogne et dans le quartier de Strasbourg Saint Denis [1], dans des conditions particulièrement effroyables [2].
Les défenseuses des droits des femmes découvrirent avec effarement que ce réseau de proxénétisme était géré d’une main de fer par des femmes nigérianes. Elles étaient épaulées par des hommes de main issus de gangs nigérians, en étroite collaboration avec des acteurs de la traite des êtres humains restés au pays et une myriade de passeurs présents à tous les points cruciaux des routes migratoires en provenance du continent africain.
L’Italie est leur porte d’entrée
Cette affaire sordide a aussi permis de lever partiellement le voile sur le mystère de la disparition inexpliquée de milliers de mineurs migrants non accompagnés (MMNA) arrivés en Europe. L’ONG Missing Children in Europe a ainsi recensé la disparition de quelque 30 000 enfants et adolescents entre 2014 et 2017, suivie entre 2018 et 2020, par celle de plus de 18 000 d’entre eux selon l’ONG Lost in Europe, portant le total de ces disparitions à plus de 48 000 [3] !
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Pourtant, en pleine crise migratoire, des journalistes avaient tiré la sonnette d’alarme dès 2016, sur l’implantation inquiétante en Sicile, de groupes criminels originaires du Nigeria [4]. Spécialisés dans l’exploitation des filles africaines arrivées par milliers dans les embarcations de fortune des migrants et parfois vendues par leurs parents, ces gangs s’étaient également mis à travailler en cheville avec la mafia sicilienne – « Cosa Nostra » – dans le trafic de crack et d’héroïne [5]. À l’époque, certains observateurs s’étaient imaginé que ces gangs nigérians, dont le plus puissant d’entre eux répondait au doux nom de « Black Axe Confraternity » (« la Confrérie de la Hache noire »), continueraient à sévir éternellement en tant que sous-traitants de Cosa Nostra dans le sud de l’Italie.
Seule face à un tel phénomène, la police italienne constata cependant, au fil des ans, la progression fulgurante de la Black Axe du Sud vers le Nord du pays. Comme en Sicile, cette dernière s’alliait aux groupes mafieux italiens de manière opportuniste, qu’il s’agisse de la N’Dranghetta en Calabre ou de la Camorra à Naples. À cet égard, l’héroïque Roberto Saviano, auteur de Gommora et spécialiste de la mafia, a souvent fait remarquer qu’aucune organisation criminelle étrangère ne pouvait exister en Italie sans la permission des clans historiques locaux.
Une organisation redoutable
Des écoutes et des filatures de la police antimafia ont permis de discerner plus précisément la structure pyramidale et les modes opératoires particulièrement efficaces de la Black Axe et d’en conclure qu’il s’agissait d’une véritable mafia, partageant avec les organisations criminelles italiennes la pratique du serment de fidélité et des rituels d’initiation ; un fort sentiment d’appartenance au groupe ; des modes opératoires sanguinaires, ainsi que l’omerta.
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Au vu du pourrissement systématique des territoires sur lesquels la Black Axe jette son dévolu, les autorités italiennes se sont senties bientôt dépassées par l’ampleur de la menace, comme le montre d’ailleurs un documentaire français sur le sort tragique de l’ancienne station balnéaire florissante qu’était autrefois la ville de Castel Volturno, le « Cannes de la Campanie ». Celle-ci est tombée complètement en ruines sous la domination conjointe de la Camorra (clan des Casalesi) et de la pègre nigériane [6]. Aujourd’hui, la Black Axe sévit partout en Italie : à Palerme, à Catane, à Naples, à Rome, à Milan, à Turin… Elle est même récemment suspectée d’avoir élargi son champ d’activité en se lançant dans le trafic d’organes prélevés dans des « cliniques de l’horreur » sur des migrants incapables de rembourser leur dette aux passeurs [7].
Mais ses activités ne se cantonnent plus à la botte italienne. Elle a franchi les frontières intra-européennes, étendant sa sinistre emprise d’abord en Suisse, puis notamment en Allemagne et en Suède et évidemment au Royaume-Uni, pays qui abritait déjà une importante communauté nigériane avant la crise migratoire. Au stade actuel, des milliers de femmes nigérianes – dont beaucoup de mineures – sont exploitées par la Black Axe dans l’ensemble de l’UE.
Un flux de bourreaux et de victimes appelé à croître
Au début de la crise des migrants, il paraissait peu probable que ces groupes criminels anglophones jettent un jour leur dévolu sur la France. Par ailleurs, certains ont pensé à tort et égoïstement que l’Italie s’en sortirait toute seule. L’erreur a notamment consisté à croire que, parce qu’ils constituaient la première communauté de demandeurs d’asile en Italie avec près de 84 000 demandes en 2015, les Nigérians y demeureraient en vertu du Règlement de Dublin. Selon cette procédure, un seul État européen est responsable de la demande d’asile d’une personne ressortissante d’un État tiers. L’État responsable est en général le pays d’entrée du demandeur d’asile, que cette entrée soit régulière ou clandestine. Il s’agissait, en l’occurrence, de l’Italie, pour les ressortissants nigérians enregistrés dès leur arrivée sur les côtes du pays par les autorités italiennes.
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Ce manque d’anticipation des Européens s’est longtemps doublé d’une ignorance des réalités africaines car, au vu des projections démographiques, ce flux de bourreaux et de victimes sera probablement ininterrompu dans les années à venir. En effet, le Nigéria, pays de plus de 200 millions d’habitants en 2020, devrait dépasser les 400 millions d’habitants en 2050 [8]. En outre, à l’exception des spécialistes de l’Afrique anglophone, peu de gens savaient que la majorité des femmes nigérianes vouées à la prostitution provenaient de l’État nigérian d’Edo, véritable réservoir de victimes de la traite des êtres humains sur le continent africain, et que leur étrange état de soumission était lié à la pratique courante et institutionnalisée du vaudou s’appuyant sur des rituels sanglants de magie noire – le « juju » – toujours massivement en vigueur dans la société nigériane du vingt-et-unième siècle [9].
Sidérés par cette situation, les décideurs politiques européens mènent depuis quelques années des négociations avec le gouvernement nigérian sur la question migratoire. Comme geste de bonne volonté, le Roi de l’État d’Edo – Oba Roi Euware II, en tant que chef suprême du Conseil des chefs coutumiers, a accepté en 2018 de condamner publiquement l’exploitation sexuelle des mineures par des réseaux criminels et de révoquer les serments de magie noire faits sous la contrainte par des milliers de victimes à des prêtres vaudous [10] ! Cette stupéfiante cérémonie de révocation a été filmée par la télévision suisse [11].
Depuis, rien n’a changé. La France compte désormais des cohortes de filles nigérianes réduites en esclavage par leurs compatriotes. Elles arpentent, dès la nuit tombée, les rues de Nice, Toulon, Marseille, Lyon, Poitiers ou Lille, et hantent les bois parisiens. Leurs bourreaux continuent, pour leur part, de prospérer en réinvestissant leurs juteux profits au Nigéria, tout en consolidant, jour après jour, leur joug criminel sur l’Hexagone.
[1] https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/le-terrible-parcours-de-grace-nigeriane-prostituee-a-10-ans-dans-paris_2110109.html
[2] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/08/04/sur-les-trottoirs-de-paris-l-enfer-de-la-prostitution-nigeriane_6048084_3212.html
[3] https://www.ritimo.org/Europe-18-292-migrants-mineurs-non-accompagnes-disparus-entre-2018-et-2020
[4] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/11/23/a-palerme-la-mafia-delegue-ses-basses-uvres-aux-migrants-nigerians_5036662_3212.html
[5] https://www.parismatch.com/Actu/International/Palerme-sous-l-emprise-des-black-mafias-1261841
[6] https://www.youtube.com/watch?v=BhOBJZyyIcM
[7] https://www.breizh-info.com/2019/01/23/110364/la-mafia-nigeriane-en-italie-de-la-prostitution-au-trafic-dorganes-mondial
[8] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/01/30/le-nigeria-bombe-a-retardement-demographique_5416621_3212.html
[9] https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/prostitution-11-maquerelles-nigerianes-jugees-a-paris_2008045.html
[10] https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01740471/document
[11] Regarder à partir de la minute 37 jusqu’à 41 le documentaire sur le lien suivant :
Prostitution nigériane, esclavage moderne | Temps Présent, 29 novembre 2019 : https://www.youtube.com/watch?v=5JwlzwTW0-A