« Vive l’armée ! Vive Tiani ! » et « À bas la France ! » entendait-on scander dans les rues de Niamey, hier, après le renversement du président démocratiquement élu Mohamed Bazoum, qui reste détenu par le nouvel homme fort du pays, le général Abdourahamane Tiani. La France, qui compte un peu plus de 500 ressortissants dans le pays, a suspendu « toutes ses actions d’aide au développement » à destination du Niger, et l’Élysée a fait savoir que « quiconque s’attaquerait aux ressortissants, à l’armée, aux diplomates et aux emprises françaises verrait la France répliquer de manière immédiate et intraitable ». La Russie est suspectée de souffler sur les braises.
Xavier Driencourt est diplomate et haut-fonctionnaire. Fait rare, il a été ambassadeur de France en Algérie à deux reprises, de 2008 à 2012 et de 2017 à 2020, durant la présence d’Abdelaziz Bouteflika en tant que président. Niger, Fête du Trône au Maroc, relations franco-algériennes, cet expert nous livre toutes les clés pour comprendre la politique française au Maghreb et au Sahel.
Xavier Driencourt est l’auteur de L’énigme algérienne: Chroniques d’une ambassade à Alger, L’observatoire, 256 p.
Causeur. L’actualité en Afrique du Nord et au Sahel fut particulièrement chargée ces dernières semaines, singulièrement ces derniers jours. La France est régulièrement contestée par des acteurs qui lui étaient traditionnellement favorables. Le coup d’État au Niger s’inscrit d’ailleurs dans un cycle de déstabilisations diverses inaugurées au Mali. Que pouvons-nous faire pour renverser la tendance ?
Xavier Driencourt. Ce qui s’est passé au Niger est inquiétant : c’est le troisième ou quatrième coup d’État dans la région. Il n’est pas certain que ce coup d’État soit motivé par des questions stratégiques ou une réflexion profonde sur la sécurité de la zone ; il y a vraisemblablement, dit-on, des considérations personnelles. Mais le résultat est là. Le fait est que c’est un coup très dur pour la France et avec le Niger, se met en marche une certaine forme de théorie des dominos. Nous payons d’une certaine façon notre modèle colonial et notre politique post-coloniale. Le problème, c’est sans doute que nous ne nous donnons pas toujours les moyens de réagir : face à ces décisions, il faut d’une certaine façon rendre coup sur coup. Vous ne voulez pas de la France ? eh bien, nous arrêtons l’aide au développement, nous fermons nos centres culturels, nous réduisons au minimum nos ambassades, nous fermons nos consulats et nous ne délivrons plus de visas etc… Mais en général, nous prenons des demi-mesures ; les gouvernements locaux n’hésitent pas à aller jusqu’au bout de leur logique (population instrumentalisée et encouragée à manifester sa détestation de la France par exemple) alors que de notre côté, ce n’est pas le cas.
Vous avez été, fait unique, à deux reprises ambassadeur de France en Algérie. Au-delà de l’esprit revanchard et des pommes de discorde habituelles, concernant notamment les accords de 1968 relatifs aux facilités d’installation des Algériens en France que certains responsables politiques veulent réviser, il semblerait que les efforts d’Emmanuel Macron n’aient pas porté leurs fruits. Quel rôle veulent jouer les Algériens dans la région ? Les tensions avec le Maroc se sont accrues au cours des mois écoulés, peuvent-elles conduire au pire ?
Les efforts du président de la République n’ont effectivement pas porté de fruits. Pour mémoire, il faut rappeler tous les gestes que ce dernier a fait au cours de son premier mandat notamment, gestes ignorés par Alger : réhabilitation du mathématicien Maurice Audin et reconnaissance de la responsabilité de l’armée française dans sa mort, même chose pour l’avocat Ali Boumendjel, restitution des restes mortuaires des combattants algériens, rapport de Benjamin Stora sur la mémoire. Et puis, il y a eu ce déplacement de trois jours à Alger l’été dernier, alors que rien ne le justifiait. Trois jours, une déclaration conjointe signée, un calendrier organisé, un groupe de travail franco-algérien sur la mémoire… et puis rien. Alger en réalité ne joue pas le jeu, ne renvoie pas l’ascenseur en quelque sorte. Mieux, Alger est dans une sorte de provocation permanente : regardez ce qui s’est passé lorsque le ministère des Affaires étrangères a fait jouer la protection consulaire pour Mme Bouraoui, rappel de l’ambassadeur d’Algérie, convocation de l’ambassadeur de France ; puis ce voyage prévu à Paris par le président algérien, voyage sans cesse remis, reporté, et sans doute annulé, voyage remplacé par, en pleine offensive ukrainienne, un déplacement à Moscou ; enfin, dernier élément d’une longue série de provocations, le communiqué algérien appelant à la protection de ses ressortissants pendant les émeutes.
La conclusion a tout cela est : le jeu en vaut-il la chandelle ? La France s’épuise à faire des gestes unilatéraux destinés à Alger et franchement, tout cela ne sert aujourd’hui à rien. Quand comprendra-t-on enfin que l’Algérie ne comprend que la réciprocité et le rapport de forces ?
Alger, depuis le retour de Bouteflika et surtout aujourd’hui, veut effectivement jouer un rôle dans la région. Il considère avoir face au Maroc, une expertise, une connaissance de la région et une sorte de « droit » par son histoire, sa tradition diplomatique, sa profondeur stratégique à donner le la dans la région. Mais c’est compter sans Rabat qui, ces dernières années, a pris une longueur d’avance, notamment par la signature des Accords d’Abraham.
Pour en revenir au Maroc, le weekend écoulé a été le moment de la dernière Fête du Trône célébrant l’accession au trône de Mohamed VI. Où en sont les relations franco-marocaines ? Peut-on attendre une convergence plus grande à l’avenir ?
Les relations franco-marocaines sont également très dégradées. Elles ne procèdent pas de la même physionomie que les relations franco-algériennes. Ce que l’on constate c’est que Paris a quasiment tout misé sur Alger et finalement, ce pari algérien que nous avons fait aux forceps nous fait perdre sur les deux tableaux : aucun retour positif côté algérien, une froideur distante du côté de Rabat qui cherche à reprendre la main face à Paris. Nous sommes seuls et nus dans ce jeu triangulaire.
Je ne vois pas très bien de convergences pour l’avenir entre Paris et Rabat : les contentieux sont nombreux, Rabat cherche sans doute à profiter des déboires de notre relation avec l’Algérie et à profiter de ces circonstances pour amener Paris à reconnaître la marocanité du Sahara occidental. En tout état de cause, les deux capitales ne doivent pas être trop mécontentes de voir la France embarrassée comme elle l’est aujourd’hui en Afrique.
La reconnaissance par Israël de la souveraineté marocaine sur le Sahara a fait l’objet d’une importante attention médiatique. Le politologue, Mohamed Tajedine Houssaini, estime que « cette nouvelle position israélienne permettra au Maroc d’équilibrer son rapport de force avec l’Algérie ». Il accuse d’ailleurs Alger d’installer une base militaire en collaboration avec la Russie dans la région. Qu’en pensez-vous ?
Il y a eu un tournant dans cette région avec la signature des Accords d’Abraham. C’est clair. Les États-Unis et Israël, en échange de la reconnaissance du Sahara occidental comme appartenant au Maroc, ont obtenu la reconnaissance d’Israël par le Maroc. Avec toutes les conséquences que l’on voit (et qu’Alger voit également) : l’arrivée d’Israël dans la région, fait impensable il y a quelques années, un possible rôle joué par Tsahal, une montée en puissance progressive, des échanges politiques, militaires, entre les deux capitales… Bref, les choses peuvent s’emballer et c’est un changement radical qui comporte des risques. Vous avez d’un côté Rabat, Washington et Tel-Aviv et de l’autre Alger soutenu par Moscou. On constitue une sorte de mur entre les deux pays qui déjà s’entendaient mal.
Ces rapports de forces peuvent aboutir à un certain équilibre, mais aussi à un possible dérapage.
La Russie fait feu de tout bois en Afrique, dans des pays historiquement en bons termes avec la France. Elle profite aussi d’errements coupables de notre diplomatie. Pour caricaturer, les chefs d’États africains nous accusent de faire plus pour la promotion des mouvements LGBT que pour le reste. C’est exagéré mais l’argument est utilisé contre nous et instrumentalisé par les Russes comme d’autres acteurs hostiles. Qu’avez-vous à répondre ? Du reste, l’influence russe n’est-elle pas à relativiser ?
Cela fait maintenant plusieurs années que la Russie intervient en sous-main ou directement dans notre ancien pré carré. C’est nouveau. Mais en même temps, la guerre froide consistait en son temps à rechercher des alliés, nouer des alliances, trouver des points d’appui. Ce qui est nouveau, c’est l’intervention de la Russie directement dans nos anciennes colonies, RCA, Mali, Burkina Faso, Niger sans doute. Et la Russie qui arrive avec son récit anti-occidental, fortement remontée par la guerre en Ukraine, joue effectivement sur tous ces tableaux et comme vous le dites, fait feu de tout bois.
Nous payons aujourd’hui en quelque sorte le prix de la colonisation : nous nous croyions « chez nous » et certains viennent justement dire : « vous voyez où l’Occident (et la France) vous a emmené, qu’y avez-vous gagné ? Est-ce cela que vous voulez pour votre pays ? »
Comment la France peut-elle repenser sa diplomatie africaine et maghrébine ? N’est-il pas temps de choisir notre « camp » ?
Cela va prendre du temps : les pays du Sahel sont doublement déstabilisés aujourd’hui, par les groupes islamistes et par l’offensive russe qui tient un autre discours que le narratif français. Le Cameroun, par exemple, a refusé de laisser entrer sur son territoire l’ambassadeur français pour les LGBT, est-ce que le message français se réduit à cela ? Mais que faire si demain, le Tchad, le Cameroun, le Bénin et d’autres cèdent à ce discours anti-français et décident de nous renvoyer ? Une page serait tournée. Quand on voit le président Biya du Cameroun, se rendre à Moscou comme il l’a fait pour le Sommet Russie Afrique il faut se poser des questions. Comment reprendre la main ? Cela passera très certainement par un changement de notre approche et de nos méthodes. Tout ou presque est à reconstruire.
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