Tu sais que je suis un eurosceptique (à l’anglaise plus qu’à la française,puisque les idées fascisantes me répugnent) depuis que j’ai étudié le fonctionnement de l’UE pour mon Master de géopolitique. Jusque-là, j’étais un europhile content, comme tous les jeunes de ma génération (j’ai voté oui en 92). Tu as raison, il faut aller voir les choses de près. Il faut étudier le fonctionnement des institutions, interviewer des fonctionnaires (ce que j’ai fait à Bruxelles) pour s’apercevoir que tous les pays mettent en avant, que ce soit militairement ou économiquement (en fonction de leurs avantages industriels respectifs, lesquels ne sont évidemment pas les mêmes) leur agenda national. Bismarck for ever, comme dirait Kissinger. Il est vrai que le style change (Poutine n’a plus besoin de déclarer la guerre aux USA pour s’emparer d’une enclave stratégique, il lui suffit d’appuyer sur l’inconsistance irrécupérable de la diplomatie européenne), mais le fond reste le même.
Tu crois vraiment que la Lituanie pèse autant que l’Allemagne en quelque domaine que ce soit ? Au sein même de l’UE, le plus fort gagne, ce qui est la définition même de la Realpolitik. On peut faire dans le populisme en donnant aux gens l’impression qu’un changement radical est possible. Mais on peut aussi les berner indéfiniment – l’espoir fait vivre – en leur faisant accroire que l’on va changer les rapports de force par la seule vertu de la négociation. Bref, un populisme peut en cacher un autre. (J’espère que cette comparaison ferroviaire te plaira)
La question n’est pas de savoir si les souverainistes sont des meilleurs économistes que les pro-Européens français (lesquels n’ont pas l’air d’être si compétents en matière de chômage ni en quelque autre domaine que ce soit).
Il est déjà idiot de laisser présupposer qu’il y a des compétents et des incompétents, alors que l’économie n’est ni une science, ni le domaine réservé d’un camp. L’économie ne marche pas toute seule comme une belle mécanique, abstraction faite des choix politiques que l’on se donne. Ces choix ne peuvent être que divers, et l’économie, par conséquent, ne peut que tanguer dans tous les sens. (J’espère que cette comparaison maritime te plaira. Sinon, on peut toujours utiliser l’image du train qui déraille).
Au vrai, la question est beaucoup plus simple. Comme les abstentionnistes nous le rappellent avec une force de conviction qui contraste avec la patine rhétorique des Europhiles de carrière, la question est de savoir si tu as encore le droit d’élire quelqu’un et de le démettre ensuite s’il ne tient pas ses promesses, ou s’il échoue. Tu as l’impression que ce sera le cas au sein de la Commission ? As-tu vu comment on élit un Président à Bruxelles ? Allons bon, il faudrait rentrer dans les rangs de peur d’être montré du doigt par nos voisins. Quel drôle de raisonnement. Je n’échange pas la démocratie contre le plaisir de faire comme tout le monde.
Ton fils.
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