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L’homme est un virus pour l’homme

Le journal de Nidra Poller


L’homme est un virus pour l’homme
Japonais dans les rues de Tokyo le 27 avril 2020 © Eugene Hoshiko/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22450642_000003

Episode 8: Japon/ hazukshi, [Israël l’État-mère juive]


27 avril 2020

Rappel

Japon, Israël, deux pays miens, partagent une exigence de maîtrise, le respect pour les personnes âgées, une population lettrée, industrieuse, performante et, aujourd’hui, à majorité masquée. Japon, une nation vieillissante en péril démographique ; Israël, jeune, avec le plus haut taux de natalité de l’OCDE. Chacun son style de gestion de la pandémie du nouveau coronavirus. 

[Avis aux lecteurs : Ça déborde. L’Episode 8 sera consacré au Japon. Israël sera l’invité de l’Episode 9.]

Hazukashi

Hazukashi, la honte. Pas la honte propre aux cultures dites « honte / honneur ». La honte de la maladresse, de faillir à une responsabilité, de gêner l’autre, de se mettre en avant, de briser le consensus. La peur du faux pas devant un inconnu donne une impression de raideur. Entre eux (entre nous) les Japonais sont expansifs, drôles, bons vivants, adorablement généreux et attentionnés. Jusqu’au point où on bute sur l’écran… de quoi ? La pudeur, la modestie, la suppression de quelque chose d’intime ?

Envoyé spécial 23 janvier – 5 mars

La séparation, les va-et-vient du photographe sportif, ont toujours rythmé notre histoire, mais sept semaines, c’est un gros morceau à avaler. Sur place pour effectuer une série de démarches d’ordre administratif (qu’il déteste), avec plus d’une semaine d’attente entre chaque étape, il n’est pas sur son terrain de prédilection – l’athlétisme – et pas vraiment en ville. Tokyo, c’est les trains bondés, la rue surchargée, les retrouvailles avec collègues et amis, les magasins qui regorgent de marchandises présentées avec élégance, un choix vertigineux de délices raffinés. 

Vu d’ici, mon héros était entré dans la zone à risque, l’Asie. Les images de Wuhan, bouleversé par l’épidémie du nouveau coronavirus, faisaient partie de notre quotidien. Je connaissais l’affluence de touristes chinois au Japon. Bonne pour l’économie, agaçante pour la société. Les Chinois parlent fort, jouent les coudes, visitent les temples habillés maladroitement de kimonos de location. L’artisanat traditionnel de Kyoto s’est plié au goût chinois, abandonnant les subtils motifs traditionnels en faveur d’un réalisme criard. 

Furoshiki, mouchoirs, nappes et portemonnaies frappés de Fuji-san et grues aux ailes déployées en technicolor, d’accord, c’est malheureux. Quid du virus ? Il n’en dit rien. « Tu as vu Untel ? Tu es allé dans tel quartier ? » C’était toujours un non évasif. « Que penses-tu du Diamond Princess ? On gère mal, non ? » Sur le paquebot qui ressemble à une tour de la Défense, bloqué au large de Yokohama (à une heure de Tokyo), les passagers attrapent, l’un après l’autre, le virus. Mais le décompte n’entre pas dans le calcul des cas « Japonais ». Il m’a acheté – en ligne – une Logitech™ webcam HD. « Tu n’es pas allé à Akihabara ? »

Vue aérienne du Diamond Princess dans le port de Yokohama, le 21 février 2020 © Masahiro Sugimoto/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22430703_000036
Vue aérienne du Diamond Princess dans le port de Yokohama, le 21 février 2020 © Masahiro Sugimoto/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22430703_000036

Les semaines passent, quelques malades du Diamond Princess sont évacués vers des hôpitaux ou des centres de quarantaine, les autres restent confinés dans leur cabine. Pas d’épidémie au Japon. « Tu as mis le masque quand tu es allé à Yamanashi-ken ? Il y avait beaucoup de monde à Tokyo Station ? » Là-bas, au village, on ne craint rien. C’est à moitié abandonné. Les jeunes s’installent en ville. De retour à Tokyo, il se déplace à peine. C’est sa nièce S. qui fait les courses, désinfecte la maison, se renseigne sur les mesures à prendre. Elle ne va plus au fitness club. Le Diamond Princess, déclare un jeune médecin, n’est pas un confinement, c’est un incubateur. On raconte dans la presse israélienne les vaines tentatives de rapatrier les nationaux. Enfin le gouvernement japonais relâche tout le monde. 617 personnes sont infectées. 

C’est le début de la saison d’athlétisme. Tout est annulé. Sauf le marathon de Tokyo, fin février, mais limité aux professionnels. Pourquoi insister sur ce marathon, le virus court plus vite que nos calendriers, on refuse de modifier son billet de retour, c’est quoi, ce jeu idiot, il faut ramener tout le monde à la maison ! Si on ferme la frontière ici, s’il attrape le Covid là-bas, loin de moi? Le confinement le plus strict jamais connu n’a pas réussi à bloquer le virus à Wuhan. On meurt en Italie, à Mulhouse, en Corée du Sud et dans l’Oise. 

L’acide hydrochlorique

Le 5 mars, enfin, il rentre à Paris. Pas de contrôle sanitaire à l’aéroport. Il asperge ses vêtements et ses bagages d’un désinfectant non-identifié, m’assure qu’il avait porté un masque genre N95 pendant le vol de 13 heures, me dit en passant ce qu’il n’a pas fait et ceux qu’il n’a pas vus et je comprends que le Japon est en semi-confinement volontaire. Selon la Constitution imposée par le Général MacArthur, l’Etat ne peut pas empêcher la libre circulation des citoyens. Comme aux Etats-Unis. Je ne veux pas qu’il asperge mes chaussures élégantes et mon manteau « Maud Perl »™ en velours de soie. 

Il y a une distance qu’on n’arrive pas à franchir. Qui sommes-nous, d’où vient-on… Le taux de mortalité grimpe en France, stagne au Japon. Tous les trois jours le comité olympique japonais rassure : les Jeux Olympiques auront bel et bien lieu à Tokyo cet été. Je suis sûre que non ; il dit daijoobu, d’ici là ça ira, l’épidémie est domptée au Japon, on sait faire. Moi je crois que ce virus trouvera son chemin au dernier recoin du monde, les athlètes ne viendront pas, l’édifice du sport international s’écroule et l’argent s’évapore.

Le 7 au soir, mon diner n’a pas de goût. Le 8 je tousse. Contre toute vraisemblance je suis malade du Covid-19. J’ai eu la chance d’avoir un cas modéré et c’est déjà costaud [voir l’Episode 2]. Les amis nous racontent le supplice des proches, frappés, bastonnés, subissant la question, les membres tirés jusqu’au point de rupture, la tête éclatée, les poumons étouffés… C’est terrifiant. Un malade peut passer d’un début mine-de-rien à l’article de la mort en quelques jours. D’autres luttent pendant des semaines de souffrance atroce. L’angoisse des familles. Forcément éloignées.

Au Japon ? La pandémie ? Il y a comme un voile. 

Joozu, la dextérité

Pour manier un couteau, ranger un bol précieux, faire un paquet cadeau ou te passer une carte de visite, les mains japonaises sont douées d’une dextérité millénaire. On dirait que leur gestion de la pandémie est également joozu. Pas de confinement sévère à la française, pas de lockdown bordélique des Américains, pas l’invulnérabilité mastoc des Suédois. C’est quoi leur arme secrète ? 345 morts du Covid-19 dans une population de 125 millions. 

Là-bas, on a déjà l’habitude de porter le masque et de se laver les mains. La propreté, l’hygiène, l’alimentation saine ne sont pas de pratiques improvisées à la hâte pour lutter contre un nouveau virus. Il n’y a pas de masses misérables mal nourries et en mauvaise santé. Pas de travailleurs immigrés entassés dans des bidonvilles. L’obésité est plutôt rare. On s’occupe bien des personnes âgées, dont 70 000 centenaires. C’est un peuple discipliné qui adopte, à quelques exceptions près, des consignes de distanciation sociale. Fastoche ! On ne se fait pas la bise, pas de poignée de main. Ils ne parlent pas sans arrêt dans les lieux publics en riant aux éclats. Parmi les idées un peu loufoques qui circulent avec la pandémie, il y aurait moins de contaminés au Japon parce que le nihongo, la langue, n’a pas de lettres hautement postillonnantes comme le p et le  t … 

Une fois guérie du Covid-19, je regarde le petit sachet de poudre soigneusement préparé par S. C’est de l’acide hydrochlorique.  Je google. « …  corrosive pour les poumons, les yeux, les muqueuses. » Just what I need !  Il se défend. « C’est bien dilué ». Dilué, dilué,  je n’en veux pas de ton folklore pseudo-scientifique. Un petit clash culturel sans gravité.

Updates

154 000 exemplaires de La peste de Camus vendus au Japon en février. Nouveau tirage de plus de 600 000.

On a fini, bien entendu, par reporter les JO d’un an. La pandémie couve sous les cendres. On note quelques clusters. Cinquante-six cas à Yamanashi-ken. Des scientifiques redoutent la crise sanitaire, le premier ministre Abe déclare l’urgence nationale. Certains pachinko parlors résistent, les jeunes promènent leur insouciance, on craint un relâchement à l’occasion de la Golden Week début mai.

Il ne faut pas croire que tout se passe sans brutalité. On a rasé de près le champ de tulipes à Sakura pour empêcher l’attroupement des admirateurs. La star de télévision, Kumiko Okae, 63 ans, attrapée par le virus, hospitalisée, meurt comme tant d’anonymes sans revoir sa famille qui reçoit, sans préavis, livraison d’une boîte enveloppée d’un tissu blanc, attachée avec un cordon noir, contenant les osselets récupérés selon la tradition après l’incinération.

Vous savez maintenant dire hydroxychloroquine. Connaissez-vous l’avigan, développé par un laboratoire japonais, qui, selon des études préliminaires, sauverait des patients gravement atteints du Covid-19 ?

Episode 9

Partout, on cherche. On cherche des tests fiables, des traitements véritables, des facteurs génétiques, culturels, administratifs qui jouent sur la résistance contre ce virus pernicieux. On découvre un monde de scientifiques travaillant en étroite collaboration internationale. Les JO de 2020 2021 n’auront peut-être pas lieu, ceux de 2024 sont, dans la foulée, compromis. Mais la course aux traitements, au vaccin, à tout ce qui peut nous sauver du nouveau coronavirus est passionnant. Israël, l’Etat-mère juive, qui compte les morts un à un, va permettre à ses générations de sortir des abris. Pourvu que … 

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