D’accord, ce n’est pas le scandale du siècle. Plutôt un scandale à bas bruit, semblable à ceux dont sont quotidiennement victimes des milliers de salariés, jetés sans ménagements après des décennies de bons et loyaux services. Le genre d’histoire dont la presse s’emparevolontiers pour dénoncer le manque d’humanité des entreprises. Et justement, ça se passe dans un journal, Le Monde en l’occurrence. Le Monde, Nicolas Vial, dessinateur, peintre et illustrateur, y travaillait depuis 32 ans.[access capability= »lire_inedits »] En 1982, il était encore étudiant aux Beaux- Arts lorsque, tombant par hasard sur un dessin de Topor publié dans l’édition dominicale, il a su qu’il voulait faire ce métier-là, dans ce journal-là. Il a fait le siège du responsable des dessinateurs et l’aventure a commencé. Pigiste- salarié, c’est-à-dire collaborateur régulier, il croyait faire partie d’une famille. Beaucoup d’anciens évoquent avec tendresse ce garçon un peu lunaire qui apportait en vélo ses dessins à l’encre de Chine, où la précision du trait se conjugue avec la profusion des détails. Il a publié des dessins dans nombre de journaux, tout en produisant une œuvre de peinture abondante et saisissante, à défaut d’être très gaie. Peut-être Vial n’a-t-il pas vu que les temps et Le Monde changeaient. Confrontés à un environnement économique incertain, les journaux sont devenus des entreprises comme les autres, avec leurs services, leurs chefs, leur gestion de plus en plus rigoureuse. De nouvelles générations sont arrivées.
Depuis cinq ans, Vial illustrait chaque semaine la double page de la rubrique « Débats Opinions », aujourd’hui dirigée par Nicolas Truong. Celui-ci n’ayant pas jugé utile de répondre, fût-ce par un refus, à plusieurs sollicitations, on ne pourra donner sa version de la rupture. D’après le dessinateur, leurs relations se sont tendues après la publication, en avril et mai 2013, de deux dessins plutôt vachards sur François Hollande. « Truong ne voulait pas de vagues », dit-il. Difficile de savoir si cette interprétation est juste. En tout cas, l’affaire était suffisamment sensible pour que David Kessler, conseiller du Président de la République, accepte de le recevoir et de s’intéresser à son cas. Vial affirme avoir été ensuite congédié de la rubrique par un simple coup de fil de la direction artistique. Après une collaboration chaotique avec d’autres rubriques, il a cessé de recevoir des commandes (et d’être payé) en octobre. Sans avoir reçu la moindre lettre ni obtenu le rendez-vous qu’il demandait à la direction. Laquelle s’est contentée de nous faire savoir, dans un mail lapidaire, que Vial n’avait pas été licencié. Peut-être, mais c’était bien imité.
On comprend que Natalie Nougayrède, qui venait d’être nommée à la tête du quotidien, ait eu d’autres chats à fouetter, d’autant qu’elle ne portait aucune responsabilité dans le conflit. Mais qu’un collaborateur d’aussi longue date soit remercié sans que qui que ce soit, en particulier son supérieur hiérarchique direct, prenne la peine de l’en informer ou de le recevoir témoigne d’une gestion humaine pour le moins cavalière. Il est probable que le Conseil des prud’hommes, qui a examiné l’affaire le 30 janvier, donnera raison au dessinateur. Reste un homme blessé, qui encaisse mal d’avoir été traité par le mépris. Et un journal qui a eu grand tort de se priver d’un tel talent.[/access]
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