Le lancement du Sarkothon provoque, dans la classe politico-médiatique parisienne, force ricanements et lazzis. Jusqu’au Président de la République, moins à l’aise sur l’affaire de l’espionnage américain, qui y va de son couplet outré de défense du Conseil Constitutionnel. Sans mesurer que la décision de la haute juridiction, qui a pour première conséquence de soulager le premier parti d’opposition de 11 millions d’euros, aura aussi pour effet de remettre Nicolas Sarkozy en selle. Et de ressouder la droite qui en avait bien besoin. Celui-ci a parfaitement vu l’aubaine.
Et pourtant, cette fois-ci, la plupart des arguments des sarkophobes compulsifs pour justifier la décision sont fondés. Non les plus bêtes d’entre eux, selon lesquels Nicolas Sarkozy a fraudé, utilisé des méthodes inavouables ou voulu voler les contribuables. Simplement, ses équipes ont mal travaillé, en tout cas beaucoup moins bien que celles de François Hollande chapeautées par Jean-Jacques Augier aussi rompu aux montages offshore aux îles Caïmans qu’à la tenue d’un compte de campagne.
Petit retour en arrière.
En 1990, pour éteindre l’incendie des affaires, le gouvernement Rocard avait fait voter dans l’urgence une loi relative au financement public des partis politiques. Cette loi, partant de la reconnaissance du fait que la démocratie a un coût, reposait sur trois principes tout à fait nouveaux en droit français :
– Versement par l’État aux partis politiques, dont le rôle constitutionnel est reconnu depuis longtemps, de dotations proportionnelles à leur influence électorale.
– Limitation drastique des dépenses de campagnes électorales pour mettre fin à une inflation jugée pernicieuse. Fixation de plafonds indépassables, assortis de sanctions sévères en cas d’infraction. En particulier, annulation des élections, inéligibilité, et suppression des remboursements.
– Contrôle strict à la fois du financement des partis mais aussi des campagnes. Contrôle confié à une autorité administrative.
Ce texte a fait l’objet de plusieurs ajustements législatifs jusqu’en 1995, dernière des grandes lois. La période suivante fut celle des clarifications jurisprudentielles et des ajustements réglementaires. Sans être stabilisée, essentiellement à cause des évolutions technologiques des moyens de communication, la réglementation est aujourd’hui assez lisible. La jurisprudence s’est, fort normalement, fait les dents sur les élections locales, par l’intermédiaire du Conseil d’État, suivi par le Conseil Constitutionnel pour les élections parlementaires. La loi avait prévu de lutter, dans un souci d’ouverture de l’accès à l’élection, contre ce que l’on appelle « la prime au sortant ». C’est-à-dire, que le sortant puisse bénéficier de l’appui de sa collectivité d’origine. Le juge a toujours été extrêmement sévère dans l’application de ce principe. De deux manières, tout d’abord en considérant que toute intervention irrégulière de la collectivité d’origine du sortant constituait un « don interdit » par la loi, mais également en réintégrant les dépenses correspondantes aux comptes de campagne. Leur faisant ainsi facilement dépasser les plafonds. Or, un compte de campagne qui a bénéficié de « dons interdits» et qui a dépassé le plafond est irrégulier et doit être rejeté. Avec toutes les conséquences de droit.
Le problème, jusqu’à présent, était que l’élection présidentielle, « la mère de toutes les batailles » avait été sanctuarisée. Quelques lampistes (Cheminade, Mégret) ont eu des soucis, mais, malgré parfois des irrégularités assez voyantes, les comptes des participants au second tour avaient toujours été validés. Il était cependant évident que l’on allait vers un changement de cette approche plutôt pragmatique et que l’introduction de la rigueur présidant au déroulement des autres scrutins était inéluctable. Il est clair que Nicolas Sarkozy lui-même n’y est pour rien, mais que mal entouré, ses équipes, bardées d’un sentiment d’impunité aujourd’hui dépassé, ont commis des erreurs. Notamment en laissant l’État prendre en charge quelques déplacements de Nicolas Sarkozy, au prétexte que c’était le Président, et non pas le candidat qui se déplaçait. Erreur fatale. Le dépassement du plafond est proportionnellement (2,5 %) peu important, mais le compte doit être rejeté. C’est ce qu’a fait la Commission Nationale des Comptes de Campagne. Le Conseil Constitutionnel ne pouvait faire autrement que de confirmer cette décision avec toutes ses conséquences. Inutile de l’expliquer en évaluant le degré d’affection qui caractérise les rapports entre Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Debré.
Le problème est que cette décision qui frappe l’UMP au portefeuille, sera considérée par l’opinion comme le dernier avatar d’un acharnement judiciaire qu’il est difficile de contester. Et constitue un tremplin idéal pour le retour en politique active de Nicolas Sarkozy, et une occasion en or pour l’UMP, présentée en victime, de remobiliser ses troupes. Il est plus que probable que la souscription sera un succès, et que Sarkozy sera triomphalement accueilli au prochain bureau politique de L’UMP, même si quelques sourires seront crispés. Les rares, très rares, qui à gauche ont encore un peu de sens politique ont vu le danger. Alors on fait donner Bernard Debré sur des chaînes confidentielles pour dire qu’il ne faut pas que Sarkozy revienne. Inutile de le passer en boucle, personne ne l’écoute. Le piège est refermé. Comment en est-on arrivé là ? Tout simplement en utilisant sans vergogne la machine judiciaire pour essayer d’éviter la perspective du retour de Sarkozy qui fait si peur à François Hollande. Consciemment ou inconsciemment, les dirigeants du PS savent qu’en 2012, ce n’est pas Hollande qui a gagné mais Sarkozy qui a perdu. La peur, combinée à un niveau politique, somme toute assez faible, conduit à multiplier les erreurs. Les seconds couteaux passent leur temps à répéter la phrase fétiche : « désormais la justice est indépendante ». Ouais. Le problème, c’est qu’elle apparaît, en ce qui concerne Nicolas Sarkozy, comme n’étant pas impartiale. Et cela, désolé, mais c’est meurtrier.
Quelques exemples ? L’affaire Bettencourt, où le principal juge d’instruction multiplie les actes qui disqualifieraient n’importent quelle autre procédure : désignation d’une de ses amies pour une expertise décisive, d’un autre de ses amis (également témoin de mariage) pour mener des opérations d’enquête.Sans solliciter l’avis préalable du parquet pour servir des rémunérations conséquentes à cette amie expert. Ni solliciter la dispense qu’exige la loi pour pouvoir officier dans le même tribunal que son épouse membre du parquet. On s’arrêtera là, en faisant quand même remarquer qu’il y a peut-être dans tout ceci quelques possibilités d’infractions pénales qui mériteraient examen (prise illégale d’intérêts, trafic d’influence, obstruction à l’application de la loi). Il est vrai que, comme d’habitude, les organisations syndicales de magistrats, prenant les devants, comme pour l’affaire du « mur des cons », ont déjà décrété qu’il n’avait « rien de pénal ». À voir, sachant qu’on ne verra pas. Saisie, la Cour de Cassation a soigneusement botté en touche. Sa décision étant présentée par ses adversaires et les médias, comme la preuve de la réalité des turpitudes de Nicolas Sarkozy. La chambre d’instruction a, elle, mis sa décision sur des nullités de procédure, en délibéré au 24 septembre prochain…
Le « mur des cons », tiens, scandale majeur, dont l’effet dans l’opinion a été désastreux. Deux conséquences : saisine du CSM qui lui aussi a botté en touche. Et article dans Le Monde des patrons des deux principaux syndicats de magistrats, modèle de suffisance inconsciente pour revendiquer la partialité et la possibilité d’insulter le chef de l’État, les politiques qui déplaisent, et les victimes qui ne se prosternent pas.
Takieddine, mis en détention, comme le dit Le Canard enchaîné du 3 juillet pour lui délier la langue. Qui se met soudainement à dire ce que l’on attendait. L’affaire Tapie, qui au-delà des préventions qu’on peut avoir pour le personnage, apparaît, par sa sélectivité et les méthodes employées, peut-être pas comme un « complot », mais au moins comme une opération dont la cible principale est Nicolas Sarkozy. L’initiative hasardeuse du président de l’USM, qui dénonce Henri Guaino au parquet pour ses propos sur le juge Gentil. Qui tourne à sa confusion avec la reprise, en forme de bras d’honneur, des propos de Guaino par 105 de ses collègues parlementaires. Et qui se fait ridiculiser par les courriers hilarants que lui adresse chaque semaine l’avocat d’Henri Guaino. Et ça va continuer, Karachi, Kadhafi, les sondages, etc… Et ça ne marchera pas. Cela ne marche jamais.
Quand François Hollande nous dit qu’il faut respecter le Conseil Constitutionnel, il a raison. Mais il n’est pas crédible. Faire de la politique par juges interposés est une grave erreur. Trop de judiciaire déjuge le judiciaire. Si Bernard Tapie a pu tailler en pièces le malheureux Pujadas, ce n’est pas seulement grâce à son talent, mais c’est parce qu’hurlant au complot, il était crédible. Un comble en ce qui le concerne ! Tout cela n’est pas très bon pour nos institutions. La majorité des magistrats en a marre. Les socialistes feraient bien d’essayer de refaire un peu de politique et de soigner leur névrose sarkozienne.
En tout cas, il semble que Nicolas Sarkozy, quant à lui, ait vu l’ouverture.
L’ironie de l’histoire, est que l’occasion lui en soit donnée par ce qui est peut-être, la seule décision de justice juridiquement irréprochable rendue dans toutes ces « affaires ».
*Photo : World Economic Forum.
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