Étonnant Patrick Buisson : on croyait qu’il était très écouté de Nicolas Sarkozy, il semble désormais que l’inverse soit vrai aussi. Patrick Buisson a écouté, et beaucoup écouté Nicolas Sarkozy. Et d’autres, beaucoup d’autres, de l’entourage présidentiel. Mais, en ces temps de Carême, comment pourrait-on critiquer cette attention à la parole de son prochain qui est tout à fait conforme à l’idée que l’on se fait de Patrick Buisson, homme à la foi aussi rigoureuse que celle du père Joseph ? Elle est devenue rare de nos jours, cette sollicitude, cette qualité d’écoute, et osons le mot, cette bonté.
On parle de centaines d’heures d’enregistrement. Quand même. Le premier souvenir qui remonte à l’esprit, quand on évoque un tel volume d’enregistrements, faite par un seul homme pour le profit d’un seul homme, c’est Richard Nixon. Richard Nixon et son célèbre magnétophone planqué dans le Bureau Ovale qu’il déclenchait discrètement dès qu’il le jugeait bon. Cela ne l’a pas aidé pour le Watergate, d’ailleurs, ces enregistrements, même si le FBI avait tenté de faire du nettoyage. Maintenant, on en viendrait presque à remercier Nixon de cette pratique un rien paranoïaque et machiavélique puisqu’on dispose de sources de première oreille sur l’histoire secrète des USA pendant ces années-là.
Et comme nous valons bien les Américains, il n’y avait pas de raison que nous ne fassions pas la même chose. Tout de même, des centaines d’heures sur le dernier quinquennat, on n’allait pas laisser tout cela sombrer dans l’oubli. C’est peut-être ce que s’est dit Patrick Buisson quand il tripotait son dictaphone dans la poche de son costume. C’est sans doute ce que s’est dit aussi celui qui a laissé fuiter les enregistrements. Ce n’est pas très élégant, certes, de voler tout ça sur le disque dur de Patrick Buisson et de le livrer au public. Les journalistes malveillants, tous de gauche c’est bien connu, ont vite fait de monter en épingle tout ce qui peut nuire à un homme comme Patrick Buisson qui est très à droite, c’est bien connu aussi.
Je serais Patrick Buisson, je serais d’ailleurs furieux. On oublie trop souvent dans les commentaires médiatico-politiques de souligner que la première victime, c’est lui. C’est non seulement un vol dont a été victime Patrick Buisson mais aussi un viol comme dirait un Henri Guaino, faussement traumatisé par ces révélations. Je dis faussement car ces révélations ne devraient pas en être pour lui puisque, sauf sénilité précoce, il doit très bien se souvenir de ce qu’il disait à Patrick Buisson étant donné qu’il parlait quotidiennement avec lui. On mesure ainsi toute la mauvaise foi d’Henri Guaino. Non, il faut défendre Patrick Buisson contre toute cette hypocrisie et invoquer, au choix, la peur d’une mémoire défaillante chez un homme si occupé qui voulait remettre en ordre ses notes le soir en réécoutant ce qui avait été dit dans la journée ou bien une volonté de s’inscrire dans la brillante lignée de ces mémorialistes qui furent aussi des conseillers du Prince : Platon et Denys de Syracuse, Aristote et Alexandre le Grand, Philippe de Commynes et Louis XI, Alain Peyrefitte et De Gaulle, Jacques Attali et Mitterrand, rayez les mentions inutiles. Pourquoi pas, après tout ? On dit Patrick Buisson féru d’histoire au point de diriger une chaîne de télévision du même nom et l’on comprendrait qu’il ait voulu y laisser une trace, dans l’histoire, après avoir voulu y jouer un rôle.
Il y a juste un léger détail, c’est que Denys, Alexandre, Louis XI, De Gaulle et Mitterrand étaient au courant que Platon, Aristote, Philippe de Commynes, Alain Peyrefitte et Jacques Attali prenaient des notes pour d’éventuels futurs verbatim. C’est ballot que Patrick Buisson ait oublié de prévenir Nicolas Sarkozy parce que du coup on pourrait croire à de vilaines choses comme le désir de tout contrôler, de faire pression, de manipuler et de se fabriquer une assurance tout risque pour l’avenir. Par exemple, si l’on devait être pris dans de vilaines affaires sur des budgets un poil abusif consacrés aux sondages élyséens.
Mais bon, le premier fautif reste tout de même Nicolas Sarkozy. Un homme que l’on disait si avisé de toutes les questions de communication, ne pas avoir compris que l’on vivait dans une société où tout le monde peut filmer tout le monde avec un simple téléphone, où l’homme est devenu un Big Brother pour l’homme, cela est désolant. Il n’y a plus, il n’y aura plus de parole privée, d’image privée, Nicolas Sarkozy aurait dû le savoir. Interdit de se lâcher dans une soirée, désormais, sous peine de vous retrouver sur You Tube le lendemain en train de chanter L’Internationale avec un slip sur la tête. Alors, à plus forte raison sous les ors du pouvoir. Nicolas Sarkozy, du coup, doit se sentir un peu comme ces victimes de « revenge porn », mode venue des USA et qui consiste à publier sur le net des images ou des films des galipettes faites avec un ex ou une ex dont on veut se venger.
Mais bon, sur le plan politique, rien n’indiquait que Patrick Buisson et Nicolas Sarkozy aient rompu et que l’éventuel retour de l’ancien président ne se ferait pas sur une ligne aussi dure que celle de l’élection de 2012. Et puis allez savoir d’ailleurs, si Patrick Buisson est aussi à droite qu’on veut bien le dire. Moi, par exemple, pour l’instant, dans ces enregistrements, je n’ai pas entendu le mot race.
*Photo : hto2008.
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