À droite, l’amertume et la déception ont pris la relève de l’admiration portée à l’ancien président de la République.
Nicolas Sarkozy a fait l’objet récemment de deux portraits dans la presse qui, pour être d’un registre différent, nous le montrent, selon ses propos, détaché de la politique mais infiniment curieux de tout, préoccupé seulement de sa liberté et n’ayant de comptes à rendre à personne, très proche d’Emmanuel Macron mais justifiant ce qui a été perçu par beaucoup, lors de la campagne présidentielle et ensuite, comme une trahison à l’égard d’un parti auquel son nom et son action paraissaient indéfectiblement attachés et qui n’avait jamais hésité à le soutenir sur tous les plans, notamment financier et judiciaire (Le Figaro, M). Pourquoi ai-je éprouvé un infini malaise, à lire cette double contribution destinée à s’approcher au plus près de la vérité du Nicolas Sarkozy d’aujourd’hui ?
Paradis perdu
Parce que j’ai pensé au Sarkozy que j’avais admiré mais qu’il était si loin dans le temps. Je ne serai jamais lassé de me souvenir, tel un paradis politique perdu, de l’extraordinaire campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy qui avait engendré une très forte participation citoyenne et un recul impressionnant du Front national. Aucun mystère dans cette double conséquence mais le résultat d’une personnalité n’ayant révélé alors que ses facettes positives et d’un projet singulier et remarquable conciliant le meilleur de la droite avec ce que la gauche s’était abusivement appropriée et qui relevait de valeurs universelles : humanité, générosité, solidarité, responsabilité, liberté. Un humanisme qui n’était pas niais mais ferme et vigoureux. Comment aurais-je pu oublier ces moments magiques où la politique semblait à portée de cœur, d’esprit et d’efficacité ?
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Il serait absurde de nier que son quinquennat, s’il a beaucoup déçu, a connu quelques réussites éclatantes qui tenaient, d’abord, à un incroyable désir d’action, à une énergie phénoménale pour affronter les temps de crise et les défis à relever, qui constituait son agitation ordinaire comme une chance. Sur ce plan il a été incomparable parce que contrairement à ses successeurs et à Jacques Chirac il ne supportait pas de laisser un problème sans solution. Il prenait à bras-le-corps le réel et avait pour ambition, là où il passait, de démontrer sa volonté, son utilité et le caractère irremplaçable de sa fonction parce que lui l’exerçait. Son narcissisme n’était pas que vanité, il s’en servait comme d’un adjuvant.
Une image brouillée
Mais je continue à regretter qu’il ait eu une conception si lamentable de l’état de droit, sachant jouer avec une intuition diabolique sur les faiblesses de ses soutiens et leur assurant une protection par avance pour toutes les circonstances où ils fauteraient, de sorte qu’il leur permettait de s’ébattre dans l’espace politique sans la moindre retenue. Il a pu bénéficier ainsi de l’appui d’une « élite » judiciaire qui domestiquée n’a pas honoré la magistrature avec des chefs de la Cour de cassation qui n’avaient pas l’aura de ceux d’aujourd’hui. Peut-on aussi passer sous silence les inélégances, les grossièretés et la honte que certaines de ses attitudes suscitaient chez ses concitoyens qui rêvaient d’une présidence certes mobilisée mais aussi enrichie d’allure ? On a été loin du compte.
Battu par François Hollande au sujet duquel tout est dit quand on retient qu’il n’a même pas pu se représenter, Nicolas Sarkozy a connu une période qui de l’extérieur n’est pas apparue comme la meilleure de sa vie. Partagé entre le désir, jamais assouvi, de politique et l’argent, entre sa passion des affaires et des entremises et l’épée de Damoclès des « affaires » judiciaires contre lesquelles le mépris de la magistrature ne suffisait pas, il donnait l’impression de ne plus savoir sur quel pied, quelle influence danser comme si la vie, soudain, lui avait enlevé ce à quoi il tenait le plus : la certitude qu’il était irremplaçable et qu’apparemment défait, pourtant il continuait à faire et à accomplir. Il serait trop long de narrer dans le détail les péripéties à la fois personnelles et publiques qui, pour certains, ont brouillé son image et qui pour beaucoup d’autres n’ont absolument pas entamé son aura, surtout auprès des militants et des fidèles de sa famille politique : une droite intelligente et conservatrice, à laquelle on l’imaginait lié à vie.
La primaire de 2017, une blessure
Ce billet ne prétend pas avoir une finalité biographique – sur Nicolas Sarkozy, tant de choses ont déjà été écrites qui font de son existence une part de notre Histoire de France, ombres et lumières confondues – mais vise à seulement relever comment et pourquoi l’amertume et la déception ont pris la relève de l’admiration ou en tout cas d’une bienveillance volontariste. Avant même l’irruption d’Emmanuel Macron dans le destin de Nicolas Sarkozy, il me semble que le commencement de la fin a débuté, pour ce dernier, quand il a été sèchement éliminé de la primaire remportée brillamment par François Fillon. J’imagine l’humiliation qu’il a dû ressentir et sans doute, à partir de ce fiasco, la sourde, mais de plus en plus explicite, irritation qu’il a éprouvée à l’égard de son parti, de cette force qu’il avait développée mais qui avait osé l’abandonner au profit d’une personnalité – un « collaborateur » – qu’il n’avait jamais surestimée : il lui fallait tirer les conclusions de cet échec et son orgueil ne lui offrait qu’une voie, un seul salut, se venger, se mettre à distance, d’abord déserter subtilement puis plus tard trahir. On ne voulait plus de lui, lui ne voudrait plus de ce qui l’avait rejeté.
Emmanuel Macron est survenu comme une miraculeuse opportunité qui lui a permis de faire passer son ressentiment pour de la stratégie, ses aigreurs pour de la sagesse politique. La complicité qui les a unis de manière ostentatoire, épouses comprises – le président lui offrant l’illusion d’être encore nécessaire et Nicolas Sarkozy flatté, faisant feu de tout bois pour rendre service et manifester sa reconnaissance pour les égards calculés qu’on avait pour lui – est devenue de plus en plus une provocation. Pour Nicolas Sarkozy, il est clair qu’il l’a jetée tel un soufflet au visage et à l’esprit de LR.
Brigitte Kuster a honte
Sa honteuse désertion, son refus obstiné de soutenir Valérie Pécresse pour des motifs de pure susceptibilité puérile – un SMS à la place d’un coup de téléphone par exemple ! -, son désir désespéré de convaincre qu’Emmanuel Macron devrait être le futur de la droite, sa tentative infructueuse de jouer le rôle d’un ordonnateur des élections législatives de concert avec un président qui a négligé le marché qui lui était proposé et, en définitive, une trahison parée d’oripeaux prétendument nobles, ne sont que l’aboutissement d’une vanité qui n’a jamais considéré qu’on en faisait assez pour elle, d’un infini désir de reconnaissance qui non seulement n’a pas été satisfait mais qui, pire aujourd’hui, à cause de lui, s’est mué en un ressentiment, une lucidité sur le personnage qu’il est réellement : un roi nu, le Sarkozy d’antan oublié dans les limbes de nos existences.
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Le hasard de l’actualité a rendu mon analyse, sur le plan de l’anecdote, encore plus appropriée : Nicolas Sarkozy a abandonné Brigitte Kuster, candidate pour sa réélection à Paris, un soutien et une amie de quarante ans. Il a durant une heure affiché sa complicité avec son adversaire, le candidat Renaissance. Indignation unanime : la goutte d’eau de trop dans le vase de la trahison ?
Je pourrais me réjouir de cette inéluctable désillusion qui confirme un point de vue que j’ai souvent exprimé et qui m’a valu durant des années – à partir de la banalisation de la campagne formidable de 2007 en un pouvoir et des comportements dégradés – une multitude d’insultes. Je devrais apprécier que tous dorénavant aient les yeux et l’intelligence ouverts. Mais je voudrais plus. Je crains que l’apparence de « vieux sage » que cherche à se donner Nicolas Sarkozy égare. Les portraits auxquels j’ai fait allusion et ses propos me font craindre qu’à nouveau, grâce à un talent inouï pour changer le plomb en or, il parvienne à se faire passer, l’appui roué d’Emmanuel Macron aidant, pour quelqu’un dont la droite aurait encore besoin.
Le paradoxe est que sur le plan politique il a perdu toute crédibilité mais quand on questionne le Sarkozy qui aurait « découvert » le cinéma, les livres, la culture et les sujets non partisans, il est assez souvent très pertinent. Même éperdu de contentement à l’idée de nous offrir son savoir comme si nous l’avions attendu pour nous nourrir de ce qui l’enthousiasme sur le tard !
Mais où est le Sarkozy d’antan ?
Cette interrogation est une blessure, presque une douleur. Bien plus qu’une nostalgie. Une tragédie parce que nulle espérance ne pourra venir nous consoler au sujet de cet être exceptionnel, qu’on a perdu parce qu’il s’est égaré.
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