Connemara, le dernier roman du prix Goncourt 2018, brosse dans la grande tradition du roman réaliste le portrait d’une société qui voudrait espérer mais qui ne le peut pas.
C’est la période qui veut ça : on ne cesse de radiographier la France. On voudrait la comprendre, anticiper ses humeurs, recenser ses métamorphoses. Les observateurs s’épuisent. On appelle à la rescousse les historiens, les géographes, les sociologues, les philosophes, les psychologues pour nous expliquer ce pays qui envoie tellement de messages contradictoires. On pense trop rarement aux écrivains pour effectuer ce travail, c’est dommage. Que saurions-nous exactement de la condition ouvrière au xixe siècle sans le Zola de Germinal ou de L’Assommoir, de la France de 1848 sans le Flaubert de L’Éducation sentimentale, de la société des années 1880 sans le Maupassant de Bel-Ami ? Pas grand-chose, sauf si nous étions des spécialistes de ces périodes. C’est là la force du roman : il renseigne, bien sûr, mais surtout, il incarne. Les statistiques, les graphiques, les cartes deviennent des personnages. Bien sûr, il faut être un bon romancier pour réussir ce qu’on pourrait appeler le paradoxe du voisin. À la fin de votre lecture, vous connaissez mieux des personnages fictifs que votre voisin de palier.
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Prenons le dernier roman de Nicolas Mathieu, Connemara, comme la chanson de Michel Sardou qu’un des personnages écoute dans sa voiture – alors qu’il est en train de se demander s’il ne rate pas sa vie. Une chanson qui le renvoie à l’enfance, quand sa mère l’écoutait sur un transistor le dimanche matin en écossant des petits pois pendant que lui dessinait un château fort sur la toile cirée. On mésestime la variété et on a tort, elle dit beaucoup de notre sensibilité et de notre société. Fanny Ardant, dans La Femme d’à côté de Truffaut, l’avait bien compris : les romances disent toujours la vérité.
