Nicolas Demorand est certainement l’un de nos plus brillants journalistes. D’ailleurs, repéré très tôt par les directeurs d’antenne, les financiers, les patrons de presse, il connut une ascension sociale fulgurante. Le voici à la tête de Libération. Jeune encore, mais penseur polymorphe, pourfendeur des contraintes, hostile aux préjugés, il est en outre un antinazi courageux. La bête immonde, dont menace d’accoucher la société française, ne verra pas le jour, tant que veillera dans les couloirs des maternités infernales cette vigilante sage-femme experte en grossesse non désirée. Avec un micro ou au moyen d’une plume, il projette des postillons de morale postmoderne, un peu à la manière d’un curé aspergeant d’eau bénite les premiers rangs des fidèles à grand renfort de goupillon. Dans un éditorial paru le 8 janvier, et passé injustement inaperçu, considérant les maux qui accablent les populations de nos banlieues, M. Demorand en appelle aux travaux des sociologues et des “rares journaliste qui font du terrain” (sic). Ils en disent, des choses, ces bonnes gens, et parfois contradictoires ! Ainsi, ils accusent la République tout à la fois d’abandonner les banlieues, et de leur consacrer “des plans Marshall aussi coûteux qu’inadaptés, aussi pompeux qu’inefficaces, aussi proclamés qu’inappliqués”. Comment peut-on délaisser un territoire auquel on destine un plan Marshall ? Mais qu’importe, Nicolas Demorand ne s’arrête pas à ces détails. Il suggère un mode d’action nettement plus audacieux que les dispendieuses et vaines gesticulations passées : « La crise des banlieues, sociale, économique, territoriale, est au premier chef politique ».
S’adressant à la gauche, revenue aux affaires, il lui enjoint de retrousser ses manches et de suivre trois conseils éminemment politiques :
1) « régler la question des contrôles de police au faciès [pour] désamorcer le racisme institutionnel ».
2) « légaliser le cannabis [c’est-à-dire] briser l’économie souterraine ».
3) « donner le droit de vote aux étrangers non-communautaires [afin d’] élargir la définition de la citoyenneté ».
C’est vertigineux ! On s’étonne tout de même de découvrir qu’en France, il existe un « racisme institutionnel », et l’on est sceptique sur les chances de mettre fin à toute « l’économie souterraine » par la seule liberté du commerce des drogues, fussent-elles douces. Au reste, d’où tient M. Demorand que les banlieues ne sont peuplées que de fumeurs de joints, sinon d’un préjugé ? Quant à moi, qui ne connais strictement rien à la banlieue, il me paraît plus important d’y maintenir, ou d’y installer, des services aussi banals que des bureaux de poste, des commissariats, des lignes de RER, des écoles, des lycées, et des distributeurs de préservatifs !
Pour l’heure, il est vrai, le beau Nicolas a d’autres chats à fouetter. La Une de son journal (Une liaison dangereuse) et les articles consacrés aux amours de Marcela Iacub avec Dominique Strauss-Kahn (22 février), ont troublé la Société civile des personnels de Libération, qui parle de « faiblesse éditoriale […] d’autant plus regrettable que Marcela Iacub a plusieurs fois écrit sur DSK dans sa chronique, pour systématiquement le défendre, alors qu’elle avait, ou venait d’avoir une relation avec lui. Il y a là une rupture de confiance avec le journal et les lecteurs »[1. On lira l’intégralité de ce texte ici.]
Gageons qu’il règlera rapidement cette histoire de cochon, et qu’il repartira de plus belle.
Jusqu’où n’atteindra-t-il pas ? Au Figaro, peut-être… Qui vivra verrat[2. Le verrat, nul ne l’ignore, est le mâle préféré de la cochonne, autrement nommée truie.] !
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !