Le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, est un épisode méconnu de notre histoire. Loin de la caricature brossée par Victor Hugo, Nicolas Chaudun retrace ce coup de poker, mené par des aventuriers.
Aventuriers, ils le sont bel et bien, ces hommes qui entourent le prince président Louis-Napoléon Bonaparte. Élu triomphalement à la tête de la IIe République en 1848, le neveu de Napoléon Ier est plus que jamais déterminé à rétablir l’empire, avec lui sur le trône. Les tentatives précédentes – en 1836 et 1840 – s’étaient soldées par des échecs humiliants. En ce 2 décembre 1851, il n’a plus le droit à l’erreur. Ses complices se nomment Maupas et Persigny, Morny, son demi-frère, Saint-Arnaud, surnommé « l’Africain » depuis la campagne d’Algérie où il s’est illustré par de sanglantes exactions, mais aussi Fleury, Magnan… Tous veulent le pouvoir, ainsi que l’or et les femmes qui vont avec. Et en cet hiver glacial, ils semblent n’avoir rien à perdre. Si leur plan rate, ils n’ont rien prévu, aucune porte dérobée, aucune réserve d’argent à l’étranger. « Quoi qu’il arrive, souligne Morny avec une ironie mordante, nous aurons demain une sentinelle devant notre porte. » Aventurier, le neveu Bonaparte n’a cessé de prouver qu’il l’était aussi, il est le chef naturel de la bande. Et Chaudun d’écrire qu’ « un gang d’aventuriers ne fait pas un ordre de chevalerie. L’on n’y fraternise pas en pairs solidaires, tenus par un serment. Une bande, on n’y entre et l’on n’en sort jamais qu’en complice. On y joue les utilités. »
Cette IIe République ronronnante alimente une détestation unanime. Même avant, dès 1847, devant la Chambre, Lamartine constatait que « la France est une nation qui s’ennuie ». Depuis des mois, en 1851, tout le monde s’attend à ce qu’il se passe donc quelque chose. Mais de quel côté viendra le coup ? Il n’est un secret pour personne qu’en coulisse s’agitent les républicains, que les royalistes s’organisent et que les bonapartistes gonflent leurs rangs. La seule question est de savoir qui agira le premier.
Louis-Napoléon et sa bande sont bien organisés et ont réussi à garder leur opération sous silence. Dans la nuit du 2 décembre, arrestations et nominations s’enchaînent en quelques heures et sans heurts. L’annonce, le lendemain matin, de la dissolution de l’Assemblée nationale et du Conseil d’État, ainsi que l’instauration de l’état de siège sur tout le territoire, pour surprenante qu’elle soit, n’est pas vraiment une surprise. Hübner, l’ambassadeur des Habsbourg à Paris peut ainsi écrire dans sa dépêche : « C’est l’absence d’un ennemi qui rend la situation de l’Élysée plutôt awkward [1] … ».
Les jours suivants, on dénombrera cependant des morts, dans les quelques manifestations et sur les quelques barricades parisiennes, ainsi que dans les quelques villes de province qui protestent, mais dans des proportions nettement moindres que dans n’importe quelle révolte ouvrière d’alors. Louis-Napoléon Bonaparte, qui ne voulait pas faire couler le sang, en est malade. Ses complices minimisent. Le bilan est encore aujourd’hui difficile à établir. Ils seraient, à travers tout le pays, environ 600 à avoir perdu la vie.
Cela semble être le prix à payer pour un empire, puisque le 20 décembre, une grande majorité de Français votaient « oui », lors d’une élection au suffrage universel nouvellement établi, à l’avènement de Napoléon III.
Nicolas Chaudun nous décrit ce coup d’État dans un huis-clos en clair-obscur, dans le Salon d’argent du palais de l’Élysée où un futur empereur fume cigarette sur cigarette. Les personnages vont et viennent, se dévoilent, lui reste assis et demeure impénétrable. L’Histoire est en marche.
La nuit des aventuriers, Nicolas Chaudun, Plon, 2020.
[1] Malaisée, inconfortable.
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