Nick Tosches, l’auteur de Trinités, géant marginal et stylé des lettres américaines, est mort dimanche dernier.
C’est à Bruxelles, sous un crachin à foutre le spleen à un saule pleureur, que j’ai appris la mort de Nick Tosches. J’avoue que ça m’a secoué, et pas qu’un peu. Dans le train du retour, je me suis dit que j’avais perdu un pote, un vrai, qui vous accompagne partout. L’écrivain déjanté aux mille excès ne me quittait jamais à une époque pas si lointaine. Toujours dans mon sac en toile, un livre de Nick. La plupart du temps, c’était sa bio incroyable de Dean Martin, crooner à la voix faite pour passer un réveillon seul avec une bouteille de bourbon, Dino, la belle vie dans la salle industrie du rêve, une enquête fouillée à l’extrême sur Hollywood et ses pervers qui la contrôlent. Et puis il y a la bio de Jerry Lee Lewis, Hellfire, ou encore celle du boxeur Sonny Liston, Night Train.
Mozart en santiags
Dans ses livres, polars, romans noirs, essais, il mélange avec la virtuosité d’un Mozart en santiags, des morceaux de sa vie, des passages imaginaires et des informations vérifiables. Ça tient comme un cric sous une Buick. Quand j’ai une panne de moteur, que je cherche le soleil sur les quais d’Anvers, je prends un bouquin de Nick, je l’ouvre au hasard et j’en lis une page. L’inspiration revient. C’est comme si la route 66 se déroulait sous mes yeux, longue et sinueuse, sans horizon. Ça fonctionne bien avec La Main de Dante, dont le héros se nomme Nick Tosches, meurtrier à six ans, voleur, dealer, alcoolo, junkie. Un mec pas recommandable qui abandonne sa fille et balance à sa mère : « Ma chérie, tout ce qui sort de ton ventre t’appartient. » Pas correct Nick.
Je vous dirai encore qu’il est né en 1949, dans le New Jersey, d’un père italo-albanais et d’une mère irlandaise. Pas vraiment de fréquentation des écoles, plutôt le bar du père et la discipline de la pègre. Il devient journaliste malgré tout, historien allumé du rock et romancier pyrotechnicien. Bref, tout ça n’a plus vraiment d’intérêt depuis ce sale dimanche d’octobre, le 20. Ce qui compte, c’est de le lire, de préférence dans un hôtel mythique, avec le bruit et la fureur de la ville derrière les baies vitrées giflées par la pluie. Ou dans un bar, avec du cuir et du bois, jusqu’à l’arrivée de l’aube.
« Le monde est flingué, et ce de façon irrémédiable »
Très souvent tiraillé entre le bien et le mal, Nick a fini par résoudre le problème métaphysique en suivant la règle d’or : le désir de vivre. Dans Moi et le diable, livre que je vais trimbaler pas mal de temps, je crois, où il est question d’un écrivain new-yorkais vieillissant et d’une envoûtante jeune femme prénommée Melissa, Nick écrit, style acéré (mais tout est acéré dans ce roman ‘’coup de poing’’) : « Je ne recyclais jamais mes ordures. Même si je n’avais pas su que le tout allait finir dans la même décharge, je ne les aurais pas recyclées. Le monde est flingué, et ce de façon irrémédiable. » Et pour tous les emmerdeurs qui nous pompent l’air, il ajoute : « Recycler ses ordures, ça revient à enlever les peluches du col d’un cadavre allongé dans son cercueil. »
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