La prochaine « semaine anticoloniale » étalera ses réjouissances du 18 au 27 février. Avec un mot d’ordre unique, en écho au nom de l’association organisatrice : « Sortir du colonialisme » ! Au rayon des curiosités, la liste des partenaires de la manifestation donne le tournis : Europe Ecologie-Les Verts, NPA, PCF (qui, il est vrai, a beaucoup à se faire pardonner dans ce domaine !), MRAP, Beur FM, Mediapart, jusqu’à Attac – que l’on a connu mieux inspirée !
Petit test : vous vous dites que la France a abandonné ses colonies dans les années 1960, que la Françafrique remonte à Foccart, que Pékin nous taille aujourd’hui des croupières dans le golfe de Guinée, vous ne comprenez rien aux critiques tiers-mondistes de la diplomatie française, « empreinte de néocolonialisme » et « toujours du côté des dictateurs »… Pas de doute, vous présentez tous les symptômes du colonialiste qui s’ignore !
Comme un VRP de Banania perdu en pleine brousse africaine vous errez dans la jungle occidentaliste qui nous sert de patrie. Ne craignez rien, des infirmiers en blouse blanche vous attendent, tapis dans l’ombre. L’un deux, Patrick Farbiaz, co-administrateur de l’événement, explique doctement le but de l’événement : « L’objectif est de débattre de ce qu’était la colonisation dans toute sa complexité, de répondre au discours de guerre des civilisations et de dénoncer la recolonisation économique et l’ingérence des multinationales dans la vie politique des pays où elles développent leurs activités ».
Côté intentions louables, on trouve tout et son contraire : la défense du « droit à l’autodétermination des peuples » et du « respect des droits nationaux » cohabite avec un soutien inconditionnel à la liberté de circulation au nom de la sacrosainte « lutte contre le racisme (…) pour l’égalité des droits de toutes et de tous ».
Ouvrir les frontières tout en défendant la souveraineté d’Etats libres et indépendants ? Choisis ton camp camarade ! Quel anticolonialiste – terme ô combien suranné – consentirait à laisser sa population filer du côté de l’Europe et des Etats-Unis ? À moins de croire que le salut de l’Afrique viendra de la construction d’une économie Western Union basée sur la fuite de main d’œuvre, n’importe quel responsable politique sérieux préférera le développement à l’émigration massive.
Lorsqu’elle s’articule à une légitime critique du libre-échange, la tarte à la crème sans-papiériste s’effondre. Je voue une admiration sans bornes à tous ceux qui cultivent le paradoxe dans leur jardin antilibéral. Ils ont beau jeu de fustiger l’abolition des frontières industrielles et commerciales par le grand capital, de souligner la subversion des rapports sociaux qu’induit la marchandisation du monde. Tout cela pour sombrer in fine dans le sans-frontiérisme béat, à trop vouloir se distinguer de la fameuse France « moisie ». Il en va néanmoins des hommes comme des marchandises et des capitaux. La suppression totale des frontières ne libère pas. Elle aliène en même temps qu’elle désinhibe la circulation des flux humains.
« La politique migratoire du néolibéralisme a davantage pour but de déstabiliser le marché mondial du travail que de freiner l’immigration » : l’auteur de cette phrase n’est pas un vieux politicard borgne mais bien un intellectuel entré en rébellion contre l’injustice. Fumant la pipe et portant beau la cagoule, nul doute que le sous-commandant Marcos aurait beaucoup à apprendre aux anticolonialistes morveux…
Ainsi, sans céder au fantasme d’une France autarcique, il y a sans doute un « juste échange » à trouver du côté des hommes (pour reprendre une expression chère au PS). Échanger des étudiants ou des coopérants dans des secteurs précis sans nourrir d’armée de réserve ni bousculer outre-mesure l’équilibre culturel des pays hôtes ni piller les élites du Sud, ne serait-ce pas un peu plus raisonnable ?
C’est là que le surmoi libéral des gauchistes joue à plein. Tel Toni Negri voulant faire la nique à ce salopard d’Etat-Nation, les alters meurent de leurs contradictions. Tuer le mal par le mal en encourageant le globalisme, rejouer le mythe des multitudes émancipatrices au mépris des cadres institutionnels existants, tout cela revient grosso modo à pisser dans le violon du capitalisme mondialisé.
Il y a mieux. Ou pire, c’est selon. Dans le registre lacrymal, la Semaine Tintin-au-Congo nous en réserve de belles. Ayant pour thème les révoltes arabes, le salon traque le néocolonialisme partout… sauf en son sein. Pleurez braves gens, vous serez toujours coupable de quelque chose. Hallucinés de la repentance, crie à la bête immonde ; tu crois t’en immuniser, au mieux tu exorcises ce vieux complexe qui te hante. Comme ton ennemi Sarko, tu essentialises l’homme africain « pas assez entré dans l’histoire ». Seule différence, tu attribues ce supposé retard à la responsabilité de l’homme blanc, ontologiquement colonialiste, violent et prédateur là où l’africain incarne la bonté virginale d’une âme pure de tout péché.
Point d’orgue de ce chemin de croix, la remise du prix « colonialiste de l’année » précédera d’une semaine la grande manifestation parisienne du 26 février appelant à rejeter « la guerre, le racisme et la xénophobie d’Etat ». Mais alors, que fait-on des catastrophes naturelles et de tous ces irréductibles maux à éradiquer d’urgence ? La liste des nommés fleure bon la moraline qui tient lieu d’esprit à 80% des chroniqueurs télévisés. Sur le banc des accusés siègent logiquement les figures honnies du prêt-à-penser guillonnesque :
– Brice Hortefeux : trop heureux d’être accusé de colonialisme, ce qui lui permet de faire oublier son bilan calamiteux à l’Intérieur.
– Jean-Paul Guerlain, accusé de préférer l’esprit français un peu lourdaud à la novlangue
– Eric Zemmour : qui mérite la chaise électrique pour crimepensée !
– Michèle Alliot-Marie, pour sa proximité avec le régime déchu de Ben Ali et son opposition au boycott des produits israéliens (frayer avec Ben Ali serait donc raciste, mais à l’encontre de qui ? Zine ne partageait-il pas les origines de ceux qu’il opprimait ? Décidément, ces « anticolonialistes » parlent beaucoup de gènes et d’ethnie…).
– Riposte Laïque, pour son islamophobie assumée : après tout, l’islam n’a-t-il pas droit aussi à la critique ? Ou doit-on lui assigner un régime d’exception, tel Lyautey au Maroc ? Colonialisme, on y revient toujours !
– Hubert Falco, à cause de sa présumée nostalgie de l’Algérie Française. Tous les pieds-noirs étaient des salauds d’après l’historiographie officielle du FLN. Preuve que le jury confond éloge (contestable !) de la colonisation et discours colonialiste, le premier n’ayant souvent qu’un rapport lointain au second.
A la fin du XIXème siècle, certains colonialistes dissertaient à l’envi sur l’inégalité des races et des cultures, voyant dans la colonisation une entreprise civilisatrice constituant le lourd fardeau de l’homme blanc. Une charge bien lourde à porter, que les successeurs de Jules Ferry remixent à la sauce victimaire.
Finalement, défunts colonialistes et anticolonialistes du temps présent ont en commun une même vision du monde faite de blocs ethnoculturels homogènes. Quelle que soit la répartition des rôles (supérieurs/inférieurs ou bourreaux/victimes), cette weltanschauung mortifère nous empêtre dans une relation hiérarchique éculée.
À tout prendre, l’infantilisme est aussi un colonialisme.
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