D’abord, j’ai été outrée. Comme tout le monde. Indignée par l’affront fait aux femmes qui bossent, elles, bordel. Parce que quand tu pointes à Carrefour ou à l’usine, t’y retournes pas, pimpante et perchée sur tes talons de douze cinq jours après ton accouchement. Avec son genre wonderwoman de luxe, la Dati semblait narguer les filles comme vous et moi (surtout comme vous d’ailleurs) : celles qui peinent dans les salles de gym pour perdre leurs derniers kilos quand leur Kevin a déjà du poil au menton ; celles qui ont un peu tiré sur la corde de leur congé maternité en se proclamant fatiguées (et qui, allez, ont eu bien raison de le faire, moi je suis d’accord pour que mes cotisations servent à ça) ; celles qui après neuf mois et 5 jours affichent des cernes violettes et un regard noir, celles qui au bout de trois mois de tête-à-tête emportent le doudou de leur bébé au travail tant elles culpabilisent de lui faire souffrir cet abandon (lui octroyant au passage un bon pour dix ans de divan, pas à cause de l’abandon, à cause de la culpabilité).
Plutôt branchée sur Gaza, j’ai prêté une oreille distraite aux premiers éditos furibards et clameurs. Si on s’énervait sous l’étendard de « la sociale », ça m’allait. Mine de rien, avec ses frous-frous et son père inconnu, l’executive ministre n’était-elle pas en train de s’attaquer à coups de bottines griffées au congé-maternité conquis de haute lutte par nos glorieux aînés ?
Et puis, la vie de Rachida est devenue une affaire d’Etat. Trois pages dans Libé (ratées pour cause de partie de campagne), des débats sur toutes nos antennes et écrans, l’inévitable sondage CSA/Le Parisien – « devait-elle ou non ? », « femme libre ou mère indigne ? », vous voyez le genre, ça repose de Gaza justement. Puis la Royal s’en est mêlée et la Pécresse avec sa ridicule proposition de congé-maternité pour les élues, afin, a-t-elle dit, « d’attirer des femmes en politique ». Je n’ai rien contre le repos des guerrières (j’ai même pas mal de choses pour), des mères et des élues, mais est-il vraiment indispensable de convoquer le Parlement et les caméras pour régler cet épouvantable « vide juridique » ? Et puis il faudra quand même m’expliquer un jour pourquoi il serait si bon, par définition, que les femmes vinssent en masse à la politique. Ah oui, j’oubliais, elles introduisent de la douceur et du pragmatisme. Passons. J’attends avec impatience qu’un « collectif mixte, féministe et divers » réclame immédiatement l’extension de cette mesure progressiste aux élus mâles qui ont bien le droit à leur congé-néo-paternité, du courage merde, comme disait l’autre – et, bien entendu, aux couples gays.
Enfin, j’ai entendu au vol l’irracontable Bernadette Chirac affirmant que l’essentiel était sauf, parce que, a-t-elle déclaré sans la moindre ironie, Rachida Dati allaite sa petite fille. Certes, l’image de notre belle ministre dégrafant son corsage pour donner la gougoutte à Zohra en plein Conseil des ministres est plutôt charmante. Et quoi, encore ? Va-t-on aussi exiger bientôt que le père inconnu se fasse connaître derechef et répare en épousant la fille-mère déshonorée ? Discutera-t-on la longueur de ses jupes ? Parce qu’elle a quand même un drôle de genre, cette dame Dati, et pas celui des honnêtes femmes si vous voyez ce que je veux dire, on l’a vue avec le fils du forgeron et de la paille dans les cheveux, la gourgandine. Nous voilà bientôt rendus aux ragots de place du village.
Tout cela finit par sentir un peu trop l’odeur de la mère. Le comble de la terreur tartufière et de la culculterie gnangnan a été atteint par les dames-matronesses qui, croyant bon d’ajouter à leur leçon de morale féministe une pincée de vertu materniste, se lamentent sur le triste sort de l’infante, privée si jeune des bons soins de sa « maman » (le terme « mère » ayant peu ou prou disparu du langage commun). La pauvre enfant à qui sa « maman » préfère son job, quel traumatisme affreux. Eh bien avouons-le, Si je devais choisir une mère, après la mienne bien sûr, j’opterais pour Rachida Dati plutôt que pour Valérie Pécresse et son petit côté travail-mari-enfants parfaite et épanouie en toute chose et, en plus, je vérifie leurs devoirs tous les soirs.
Ras-le-bol de cette maternitude dégoulinante, triomphante et terrifiante ! Elles me filent le bourdon, à moi, ces mères professionnelles qui, sous couvert de sollicitude, finissent par exercer sur n’importe qui le pouvoir inquisiteur et envahissant dont elles accablent déjà leurs enfants. Je ne sais pas si des femmes qui travaillent se sont senties insultées par la promptitude avec laquelle le garde des Sceaux a regagné son poste mais si c’est le cas, elles se trompent. Personne ne leur demande de se remettre à turbiner cinq jours après leur accouchement, mais on ne voit pas bien au nom de quel principe moral il serait interdit de le faire à celles qui en ont la fantaisie et la capacité. Après tout, qu’un ministre de la République consente à des sacrifices exceptionnels au nom de l’intérêt général, ça se défend, non ?
Dans le fond, que reproche-t-on à Dati ? Ses réformes calamiteuses ? Que nenni. Ça, on s’en fout. Ce qui coince, c’est qu’elle refuse de jouer le jeu du « je suis comme vous ». On se dit au contraire que si elle est arrivée là où elle est c’est parce qu’elle est plus teigneuse que la moyenne. Oui, elle aime les robes Dior qui le lui rendent bien. Vous préfèreriez qu’elle se sape H&M ? Ce serait tellement tendance si, à l’image de Michelle Obama, elle achetait ses vêtements par correspondance (c’est Elle qui le dit). Il lui serait sans doute beaucoup pardonné si elle avait le bon goût d’être laide. Elle ne fait pas peuple ? C’est que justement, elle en vient du peuple, c’est peut-être pour ça qu’elle trouve la banlieue moins poétique que l’avenue Montaigne. Si ça se trouve, elle ne mange même pas bio.
Bon, d’accord, Rachida est un peu trop nana et pas assez maman. Alors, peut-être bien qu’elle est une insulte aux femmes qui, lorsqu’elles se reproduisent, pensent accomplir une mission sacrée au service de l’humanité entière et exigent pour elles, puis pour leur progéniture mal élevée, les égards dus à ce sacrifice. Mais peut-être que d’autres se sentent secrètement confortées par cette diablotine habillée en Prada : celles qui ne veulent pas sacrifier leur vie amoureuse, intellectuelle et professionnelle à leurs bambins ; celles qui ont choisi d’éviter la case maternité tout en se félicitant d’être une minorité (il faut bien que quelqu’un les paie, nos retraites) ; celles qui aiment bien que les mecs les matent dans la rue ; celles qui savent que leurs enfants ne sont pas « à elles » ; celles qui savent leur dire « non » ; celles qui veulent vivre et laisser vivre.
Vous, je ne sais pas, mais moi, j’ai choisi mon camp.
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