L’actualité nationale masque en ce moment certains grands enjeux internationaux, à commencer par l’interdiction de facto de la vente de voitures à moteurs thermiques au profit de véhicules électriques à partir de 2035 dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. L’enjeu écologique s’est toutefois doublé d’un enjeu de souveraineté européenne qui, sur son volet énergétique, a pris une nouvelle dimension avec la guerre en Ukraine qui a démontré la grande dépendance d’une partie des pays membres de l’Union au gaz russe à bas coût.
Un duel franco-allemand
L’Allemagne fait ainsi l’objet de nombreuses critiques pour sa politique en la matière, obstinée et incomprise par ses voisins. Samedi 15 avril, Berlin a fermé ses trois derniers réacteurs nucléaires. Isar 2, Neckarwestheim et Emsland ont été déconnectées du réseau électrique alors que l’Allemagne est aujourd’hui le pays qui émet le plus de Co2 de l’Union. Une hausse de 8% de ces émissions a d’ailleurs été enregistrée l’an passé, l’Allemagne ayant relancé plus encore l’exploitation des énergies fossiles du fait de la crise gazière.
Lors du dernier sommet européen de mars de cette année, l’Elysée a demandé aux Etats membres de se prononcer sur le nucléaire. Le texte Net Zero Industry Act vise à ce que d’ici 2030, 40% des besoins de l’Union pour développer des technologies non émettrices soient couverts par des capacités industrielles européennes. Bien évidemment, il y a un hic. Le nucléaire n’est ici traité que comme une technologie à « émission nette », et encore ne s’agit-il que de nouvelles centrales nucléaires prévoyant un minimum de déchets et de petits réacteurs modulaires. Cette énergie n’est pas considérée comme stratégique par l’Europe.
De l’autre côté de l’Atlantique, Joe Biden semble avoir moins de pudeurs de gazelle à l’égard de l’énergie nucléaire. L’IRA (Inflation Reduction Act) de Joe Biden qui inquiète à juste titre les Européens, notamment Emmanuel Macron qui n’a pourtant pas nommé la chose lors de son déplacement chinois, est une initiative offensive de soutien à l’industrie américaine, beaucoup plus ambitieuse que les politiques européennes. Du reste, les Américains ont prévu des crédits d’impôts et des incitations pour acheter l’électricité des centrales déjà existantes, ainsi que des subventions directes pour le financement des prochaines générations de réacteurs…
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Electrifier le parc automobile européen est une ambition qui va pourtant demander d’importantes sources de production d’énergie, mais aussi des infrastructures adéquates. Dans la guerre économique induite par la mondialisation, les Etats-Unis semblent prêts à mieux s’armer que nous autres. Pour commencer, ils sont de gros producteurs de gaz et de pétrole. Nous n’en avons que peu, hors les Pays-Bas, et les Îles Britanniques et la Scandinavie qui n’appartiennent pas à l’Union mais en sont proches. Nous devons donc remplacer le gaz russe.
Energie : nucléaire et GNL
Pour l’instant, l’hiver n’est pas venu et nous y sommes assez bien parvenus, mais il va falloir diversifier nos sources d’approvisionnement. Le gaz naturel liquéfié est une bonne ressource qui dépend aussi d’acteurs auxquels nous ne pouvons toutefois pas pleinement accorder notre confiance, à commencer par l’Algérie. Il importe donc de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement afin de parer à toutes les éventualités d’un monde instable.
L’Afrique pourrait s’avérer être un « eldorado » gazier aux richesses encore inexploitées. Malin, Olaf Scholz avait entamé l’an passé sa tournée sur le continent par une étape au Sénégal, pays aux réserves gazières encore intactes qui fonde de grands espoirs dans ses champs de gaz et de pétrole au large de l’Atlantique. La production devrait commencer en 2023 avec 2,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié les cinq premières années et 10 millions à partir de 2030. Par ailleurs, ce pays présente l’avantage d’un environnement politique stable et offre un acheminement moins polluant que via le Qatar ou les Etats-Unis.
Olaf Scholz avait d’ailleurs, à l’occasion de sa visite, su habilement se positionner vis-à-vis de son homologue Macky Sall, ingénieur géologue de formation et ancien ministre de l’Energie de son pays, en s’insurgeant contre l’arrêt des financements de l’exploitation des énergies fossiles au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Les États-Unis et la France s’étaient en effet engagés lors de la COP26 en 2021, à cesser les financements à l’étranger de projets d’exploitation d’énergies fossiles sans techniques de capture du carbone.
La lutte contre le réchauffement climatique ne va donc pas sans heurts et l’Allemagne sait y tirer son épingle du jeu – elle a d’ailleurs réussi avec sa puissante industrie automobile à prévoir une exception pour le e-fuel dans le pack d’électrification du parc automobile, chose à laquelle s’opposaient les constructeurs français qui n’en font pas -. Etonnant d’ailleurs, car comme l’indiquait un certain Antoine Testu sur LinkedIn : « Il faut ainsi cinq fois plus d’électricité pour produire assez de carburant synthétique pour parcourir 100km qu’il n’en faut pour alimenter une batterie de VEB pour la même distance ».
L’électrification du parc automobile : une opportunité pour la France ?
Ce même expert se montre d’ailleurs optimiste quant au devenir du marché du véhicule électrique, à l’image de certains professionnels du secteur ; bien qu’il soit opposé à la réglementation interdisant la production des moteurs thermiques à partir de 2035 : « Cette réglementation est en réalité inutile, car les moteurs thermiques et le VT seront obsolètes en Europe bien avant 2035 et sont déjà condamnés à une extinction rapide. Le marché a déjà choisi la meilleure solution, tant d’un point de vue technologique qu’économique : la voiture électrique à batterie. A quoi bon adopter une règlementation complexe, non dénuée d’effets indésirables pour tenter de hâter une évolution déjà en marche ? Les Etats-Unis et la Chine n’ont d’ailleurs adopté aucune mesure coercitive de ce type. Tout en agissant ambitieusement pour faire de leurs pays le champion du VEB. »
De fait, il est surtout à craindre que notre macroéconomie et notre industrie ne soient tout simplement pas capables d’accompagner cette évolution du secteur automobile. Rien n’a été fait pour nous protéger des deux mastodontes chinois et américain. Quand Emmanuel Macron a maladroitement parlé en Chine, il a d’ailleurs tapé à côté plutôt que de tancer directement nos partenaires européens en les invitant à se mettre autour d’une table pour riposter face au protectionnisme de nos rivaux. Grande gueule et petit bras, notre président n’agit pas concrètement, ou du moins, n’obtient pas les résultats escomptés alors que s’opère une transformation majeure du parc industriel mondial. Nous pourrions exploiter les minerais (lithium, nickel), nous ne le faisons pas. Idem pour le raffinage et la transformation des métaux, la prospection à l’étranger, la fabrication de batteries, l’installation des bornes ou encore les chaînes d’assemblages.
Il est temps de passer à la vitesse supérieure et d’arrêter de subir les décisions des autres.
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