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Népotisme pour tous


Népotisme pour tous
Nos chères têtes blondes sont parfois sordides.
Nos chères têtes blondes sont parfois sordides.
Nos chères têtes blondes sont parfois sordides.

Le fils du maire de K. était un garçon brillant. À l’âge de 5 ans, il avait déjà remporté trois fois le concours annuel de billes du village. À 6 ans, un premier poil apparaissait sur son menton, qui occupa, une année durant, l’académie de médecine du Land. Tout lui réussissait, rien ne semblait l’arrêter – pas même la cuiller en or qui encombrait sa bouche depuis sa naissance et qui lui aurait conféré une élocution drolatique s’il avait été un autre.

Or, il advint que l’enfant, qui avait déjà tout fait, parvint à ses 8 ans et s’estima en âge de tâter de la politique : le sport et le physique vous lassent vite un homme quand de plus hauts objets se présentent à lui. En septembre 1951, on le vit donc se présenter à l’élection de délégué de classe de 10e de l’école municipale de K. Il fit sa campagne comme pas un et promit à ses camarades monts et merveilles : il se battrait pour qu’on réaménage la cour et qu’enfin l’on nettoie le bac à sable de ses lichens et de ses fientes. On supprimerait les épinards servis le mardi à la cantine et les frites remplaceraient les pommes vapeur du vendredi. Lorsqu’il déclara que les brocolis et les salsifis n’auraient plus le droit de cité sur les tablées du réfectoire, ce fut, de toute part, une ovation. Le vote n’avait pas eu lieu qu’il était déjà élu.

Mais la vie n’est pas simple et l’épicier du village, qui avait fait le point sur le manque à gagner qu’une élection du fils de l’Oberbürgermeister provoquerait, envoya son propre fils se présenter contre lui. L’affaire aurait pu se régler à la récré : une partie de billes, un échange diplomatique de gnons et de mandales, un concours de zizi dans les toilettes pour garçons. Les choses s’étaient déjà envenimées : le fils du maire fut accusé de tous les maux et les pires rumeurs l’affectèrent. On n’hésita pas à prétendre qu’il faisait encore pipi au lit, qu’il mangeait ses crottes de nez et, pire que tout, qu’il n’était qu’un gros fayot. Ne l’avait-on pas vu plusieurs fois s’attarder auprès de Mlle W., l’institutrice de la petite classe, pour s’enquérir de sa santé ou lui porter son sac ? La petite crapule…

Le sommet fut atteint lorsque d’infâmes soupçons de pédophilie touchèrent le fils du maire : c’est qu’il avait le béguin pour une petite de 11e et le bisou qu’il lui avait donné sur la joue, deux ou trois jours après la rentrée, ne plaidait guère pour sa défense. Des attouchements sur une gamine, quand même ! S’il n’avait pas été le fils de l’Oberbürgermeister, je vous fiche mon billet que la police serait venue l’emporter manu militari pour lui couper les couilles.

C’est ce que pensa le pasteur S. lorsque l’histoire parvint à ses oreilles. Son sang ne fit qu’un tour. Révulsé par l’impunité du fils du maire, il alla trouver le directeur de l’école et le menaça de tout révéler sur les sordides histoires qui se tramaient dans son établissement : comment pouvait-on accepter qu’un garçon aussi déluré que le fils de l’Oberbürgermeister puisse devenir délégué de classe ? Une fois élu, il pourrait faire main basse sur la cagnotte du voyage de fin d’année et, pire encore, il aurait accès à la ronéo, celle qui permet d’imprimer une fois l’an le bulletin des éléves de la classe de 10e. Pouvait-on donner autant de pouvoir à un enfant ? Trop, c’était trop.

Le directeur se rangea aux arguments du pasteur. Et, cette année-là, l’épicier eut la grande satisfaction de voir son fils élu délégué des élèves de 10e. Ce fut un grand trouble pour le fils de l’Oberbürgermeister. Son père le retira de l’école et le plaça dans un institut spécialisé, où on soignerait sa mégalomanie et ses penchants pédophiles prononcés. Il y resta de longues années et je crois qu’il vient, la semaine dernière, de s’y éteindre.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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