Ricanements et sarcasmes : telles seraient les armes favorites des « néonihilistes ». C’est l’une des brillantes idées exposées par un supposé spécialiste en communication politique, François Chérix, dans le Temps du 18 avril[1. Cette tribune de notre ami Roland Jaccard a été refusée par le quotidien suisse Le Temps. On comprendra pourquoi à la lecture…]. On ne s’en étonnera qu’à moitié, le quotidien genevois a refusé de publier la présente réponse.
Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, « néonihilistes » c’est le mot savant que Chérix a trouvé pour désigner ceux qu’on appelle – tout aussi sottement – les « néo-réactionnaires ». « En France, une cohorte de bateleurs fait grimper l’audimat, à la manière d’Eric Zemmour ou de Robert Ménard », écrit-il, reprenant des formules déjà usées à force d’avoir été ressassées par la presse. Héritiers des ultralibéraux et des néoconservateurs, mais totalement désabusés, ces « néonihilistes » auraient pour seul objectif leur gloriole. Tous les moyens leur sont bons pour l’obtenir depuis la stigmatisation de l’islam jusqu’à leur complaisance à l’égard des populismes. Arborant volontiers une touche de racisme à leur boutonnière, ils jouent habilement aux boutefeux avec une insouciance de sales gosses. Chérix pratique la méthode éprouvée consistant à caricaturer ses adversaires pour ne pas avoir à se donner la peine de leur répondre.
Chérix, lui, appartient à une autre tribu, celle qui se dévoue inlassablement aux nobles causes – et Dieu ou le Diable savent qu’elles ne font jamais défaut. Chérix est un « buoniste », spontanément acquis à la cause des victimes. Il est aussi un citoyen responsable, soucieux de la complexité des problèmes, conscient que ses idéaux sont hors de sa portée, mais cela ne l’empêche pas d’apporter sa part de bonne volonté à l’entreprise de toute la tribu. On les imagine ensemble, le soir, lisant Indignez-vous ! de Stéphane Hessel en hochant la tête. Le printemps arabe réjouit Chérix et, pour marquer sa solidarité, il a sans doute déjà réservé une suite dans un palace de Djerba. Il ne se demande jamais pourquoi les révolutions font fuir les révolutionnaires. J’oubliais : il est de cœur pro-palestinien et se désole de voir la Chine reculer devant les idéaux démocratiques qui lui tiennent tant à cœur.
Il y a dans le vaste monde beaucoup de Chérix qui participent tous plus ou moins de ce que j’appellerai le boyscoutisme planétaire. Je les admire et regrette parfois de ne pas être comme eux. La bonne conscience, quand même, ce n’est pas rien. Mais en dépit de tous mes efforts, je ne parviens pas à m’indigner.
Le boyscoutisme planétaire, chacun sait ce que c’est. Inutile de l’expliquer. Alors que le néonihilisme, Chérix (François) a pris la peine de le définir. Il est même remonté dans un louable souci pédagogique jusqu’à un sophiste du IVème siècle avant J.C, un certain Gorgias qui lui non plus ne s’embarrassait pas de nuances. Car pour Chérix tout est dans la nuance, sauf sur les sujets qui fâchent : les droits de l’Homme, le respect de l’islam, la peine de mort, la colonisation, l’immigration….Il y a des questions qui ne se discutent pas, à moins d’être néonihiliste ou populiste. Sans oublier toute celles qu’il vaut mieux éviter car leur évocation pourrait être blessante pour les uns ou les autres. Certes, Chérix est un ardent défenseur de la liberté d’expression, mais il serait pour que l’on décrète une fois pour toutes que les valeurs qu’il défend font partie de l’héritage spirituel de l’humanité et ne sauraient, à ce titre, être remises en question.
Car Chérix (François) veut aller de l’avant : il croit en l’idée de progrès, pas comme les « néonihilistes » qui considèrent que c’est un attrape-nigauds. Chérix ( François ) est un homme responsable. Il veut sortir du nucléaire. Il veut laisser une planète propre à ses enfants. C’est un homme sympathique par ailleurs qui n’a aucun tabou, car l’idée même du négatif lui est étrangère. Il n’envisage pas que la vertu est le pire des vices et que « vivre » et « être injuste » sont synonymes. Il a combattu les libéraux, style Blair. Il exècre W. Bush, Wolfowitz et les autres néo-cons. Il a été déçu par l’apathie d’Obama qui n’a même pas tenu sa promesse de fermer un des pires symboles de la barbarie américaine : Guantanamo. Chérix, socialiste et spécialiste en communication, désespérait d’Obama bien avant qu’il ne porte le coup fatal à Ben Laden depuis qu’il est au pouvoir. Mais ce qu’il ne supporte vraiment pas, ce qui lui donne des allergies, ce sont ces « néonihilistes » qui font l’apologie du rien. Il les redoute : « Immanquablement, le camp des destructeurs va grandir », écrit-il. Ces hordes sauvages perturbent ses nuits. Il peine à les comprendre, ce qui est regrettable pour un spécialiste en communication, mais plutôt banal chez un boy-scout. Portons-lui secours en lui rappelant qu’il y a cent ans naissait Cioran, le Vandale des Carpathes, et que pour se mettre un peu à la page il ne serait pas inutile qu’il le lise. Cela lui éviterait de caricaturer la pensée qu’il définit comme « néonihiliste » et de considérer ceux qui s’en réclament comme des filous ne rêvant que de passer à la télévision.
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