France « périphérique » contre France des métropoles, les perdants de la mondialisation contre les gagnants, les dominés contre les dominants. Depuis les essais de Christophe Guilluy, cette lecture marxiste du territoire français s’est imposée. Pourtant, nombreux sont les géographes et les sociologues à avoir démontré les limites et les erreurs de cette analyse trop facile. Dans une note publiée par la Fondapol, Nelly Garnier revient sur cette opposition en analysant le blues des habitants des villes. Interview.
Se fondant sur la réalité du quotidien urbain et du vécu des habitants, Nelly Garnier apporte une vision plus contrastée et plus fine, loin des gros traits du marxisme urbain, définissant ainsi une géopolitique des villes plus proche de la réalité.
Jean-Baptiste Noé. Votre étude infirme les thèses de Christophe Guilluy qui présente une France coupée en deux, entre les métropoles gagnantes de la mondialisation et la France périphérique qui en est la perdante. Vous démontrez que la réalité n’est pas si simple et que les choses sont plus subtiles. Il y a notamment un désenchantement croissant des populations vivant dans les métropoles. Les logiques territoriales sont donc plus complexes que les oppositions entre les métropoles et la « France périphérique » ?
Nelly Garnier. Pendant très longtemps, le monde occidental a été composé de territoires qui avaient des identités et des dynamiques très variées. Avec la désindustrialisation et la tertiarisation de l’économie, une nouvelle géographie mondiale s’est dessinée. Les métropoles sont devenues les territoires les plus dynamiques économiquement, concentrant la majorité des cadres et des diplômés du supérieurs.
À l’opposé, beaucoup de territoires ruraux ou périphériques se sont dévitalisés. La crise des Gilets jaunes a constitué un moment de cristallisation de cette nouvelle fracture territoriale qui oppose des métropoles intégrées dans la mondialisation à des territoires ruraux et périphériques relégués. Je ne récuse pas cette grille de lecture dans ses grandes lignes. Ce que je conteste, c’est le discours sociologique, politique et médiatique qui s’est greffé dessus. Petit à petit, il s’est imposé un discours sur les habitants des métropoles qui en fait une élite libérale-libertaire, affranchie, gagnante de la mondialisation, et se repliant derrière les murs que ses capitaux financiers, sociaux et culturels lui permettent de dresser.
Les habitants des métropoles étant pour une grande part des populations à fort capital culturel, ils vont avoir tendance à appréhender positivement la diversité culturelle. Mais, dans certains quartiers, cet a priori positif se heurte à la réalité…
Certains chercheurs, à l’image de Laurent Davezies, Hervé Le Bras ou encore Jacques Lévy, ont voulu nuancer ce portrait, mais leurs travaux ont surtout mis en avant la subsistance d’importantes poches de pauvreté en ville ou des mécanismes de redistribution entre territoires. Les problèmes des populations situées dans le haut des indicateurs économiques n’ont jamais été soulevés. Pourtant, la ville est loin d’être vécue comme un ghetto doré par ceux qui y habitent et qui doivent faire face à la difficulté de se loger, à une dégradation de leur statut professionnel, à un univers de plus en plus conflictuel, à une forte délinquance, au risque terroriste, etc. Les habitants des métropoles sont peut-être mieux intégrés dans la mondialisation, mais cela n’en fait pas des gagnants.
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Vous préférez utiliser le terme de métropolitain à celui de bobo. En quoi celui-ci est-il plus juste pour désigner les réalités des personnes urbaines ?
Des années 1960 à 2000, les villes ont connu une transformation de leur composition sociodémographique qui a consisté en une évolution de l’équilibre entre catégories socioprofessionnelles à l’échelle communale, et ce de manière particulièrement marquée dans certains quartiers anciennement populaires. Le poids des ouvriers et des employés y a diminué fortement, tandis que celui des cadres et professions intellectuelles a augmenté. Dans ce contexte, le mot « bobo » a joué un rôle de « mot-clignotant » permettant d’alerter sur l’émergence d’un phénomène social qu’on ne savait pas vraiment nommer.
Le terme est apparu en 2000, année de publication de l’essai du journaliste américain David Brooks, Bobos in Paradise, et a rapidement pris place dans le langage ordinaire. Le monde universitaire a toujours rejeté la notion de bobo, notamment parce qu’elle masque l’hétérogénéité des profils et des parcours. Le cadre sup’ du IXe arrondissement de Paris n’est pas l’intermittent du spectacle de la porte de Vincennes ni la famille d’employés qui se maintient dans l’hyper-centre parce qu’elle a hérité de l’appartement des parents. Par ailleurs, c’est une notion qui est devenue fortement péjorative. Les sociologues lui préfèrent donc le terme de gentrifieur que je n’ai pas souhaité reprendre non plus, car je considère que c’est une notion qui également chargée d’une critique sociale. La gentrification est un concept créé et porté par des écoles de recherche urbaine d’inspiration marxiste. Dans sa construction même, le terme de gentrification a cherché à désigner le processus tout en le critiquant, en plaçant le gentrifieur du côté des dominants, ceux qui imposent leur violence de classe aux classes populaires qu’ils chassent des centres-villes. Je considère que la critique sociale présente dans les travaux relatifs à la gentrification a pour beaucoup contribué à passer sous silence les difficultés et les fragilités propres aux habitants des métropoles. C’est pourquoi j’ai choisi le terme de métropolitain qui est totalement neutre.
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Quel est le portrait type du métropolitain ? Un bac +5 cadre d’entreprise ou bien une femme seule élevant ses enfants dans une famille monoparentale ?
Il y a effectivement des caractéristiques propres aux habitants des métropoles. La plupart des grandes villes sont composées pour moitié de jeunes adultes (15-44 ans). Les ménages y sont plus petits. On peut l’expliquer par les cycles de vie. Les jeunes viennent s’installer en centre-ville pour leurs études et leur entrée dans la vie active. Ils apprécient l’offre d’activités qu’ils y trouvent et la possibilité d’une vie sociale active. L’arrivée des enfants les incite ensuite à rechercher « plus d’espace », tandis qu’une séparation ou le départ des enfants peut les pousser à se rapprocher à nouveau du centre.
Mais la caractéristique fondamentale de la métropole est d’être l’espace du capital culturel. La part de diplômés du supérieur parmi la…
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