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Bukowski forever

Neeli Cherkovski, « Bukowski, une vie » (Au Diable Vauvert, 2024)


Bukowski forever
L'écrivain américain Charles Bukowski, en 1971 © ANDERSEN ULF/SIPA

Réédition de la monumentale biographie d’un « vieux dégueulasse »


Il se surnommait lui-même « l’avatar de son temps ». Bukowski, Hank pour les fans de l’écrivain américain, né le 16 août 1920 en Allemagne, est mort d’une leucémie, le 9 mars 1994 à Los Angeles. Pour le 30e anniversaire de sa disparition, la maison d’édition Au diable vauvert offre une nouvelle version de la biographie de référence Bukowski, une vie signée de son ami Neeli Cherkovski, dans une version retraduite par Dinitz Galhos. Il ne s’agit pas d’une commande mais d’un livre écrit sur plusieurs décennies. Ainsi l’écrivain est-il saisi de l’intérieur, ce qui nous donne un portrait à la fois sincère et sensible de l’inclassable poète et romancier.

Pas si pochtron

Neeli Cherkovski a noué une profonde amitié avec Hank dans les années 1960, partageant des bières devant des combats de catch, ou durant des soirées enfumées à parler de la vie, souvent chienne, des femmes, parfois cruelles, et du milieu littéraire, toujours putassier. En 1991, le souvenir de cette fréquentation hors du commun s’est matérialisé en une biographie monumentale. Dans sa préface inédite, son vieux pote rétablit la vérité. « Une grande partie de ce que Bukowski donnait à voir, écrit-il, relevait de la pure représentation. Il avait appris d’Hemingway non seulement l’art de poser les émotions humaines sur une page, mais aussi l’art de cultiver son public. » Il ajoute que « l’image du barde buveur relevait en très grande partie de la fiction. » On a pourtant tous en mémoire le fameux Apostrophes (22 septembre 1978) où Hank, ivre de vin blanc, s’était montré ingérable sur le plateau, irritant Bernard Pivot qui n’appréciait pas qu’on lui volât la vedette. Hank avait alors décidé de s’esbigner, laissant les autres invités vendre leur produit manufacturé.

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Parce que Hank n’était pas un faiseur de bouquins. Il avait ça dans le sang et il se foutait pas mal de sa carrière. C’était un écrivain, un pur, qui s’était toujours senti gêné avec la sécurité de l’emploi – il fut longtemps postier. Tabassé par un père tyrannique qui ambitionnait pour lui une vie normale, Hank avait décidé, très tôt, de préférer le vagabondage dynamiteur à la reconnaissance sociale. Ça donne davantage de matière romanesque ; ça électrice la phrase qui s’écrit comme on file un uppercut à un con qui vous postillonne ses bons sentiments à la gueule. Les livres de Hank sentent la tripe et l’alcool fort. Attention, ça ne signifie pas que l’auteur du Journal d’un vieux dégueulasse écrivait comme on pisse contre un arbre. C’était un autodidacte qui avait lu les auteurs classiques, admirateur notamment de John Fante et Louis-Ferdinand Céline, et qui se soumettait à une discipline de fer lorsqu’il était devant sa machine à écrire. Rigueur de la narration, souci de la musique des mots, respect du public, trois règles d’airain pour Hank. Sans oublier les packs de bière pour tenir à distance le mal-être.

Le biographe souligne que son œuvre donne à voir sans complaisance le ventre mou de l’Amérique. Il ajoute : « Son alter ego Henry Chinaski est un héros aux yeux de nombre de jeunes lecteurs, aux États-Unis comme à l’étranger. » On l’aime aussi pour ça, Hank, pour sa recherche d’authenticité. « Mon honnêteté, avoue-t-il dans l’un de ses poèmes, est née d’elle-même au milieu des putes et hôpitaux. » Charles Bukowski avait commencé par écrire de la poésie. Ses premiers critiques l’avaient même qualifié de « poète des bas-fonds ». Il y a de l’âpreté, voire de la noirceur, dans ses poèmes. C’est que Hank, depuis la disparition de ses parents, était hanté par la mort, et l’écriture était son unique rempart contre elle.

Les éditeurs, ces imbéciles

Hank ne trichait pas. Il n’hésite pas à dévoiler des éléments autobiographiques peu flatteurs, même si c’est son double littéraire, Chinaski, qui parle. Dans le truculent roman Women, début plaintif, typiquement bukowskien : « J’avais 50 ans et je n’avais plus couché avec une femme depuis quatre ans. » Très efficace. À propos des femmes, il les collectionnait, malgré son visage troué par l’acné. Il flashait sur les jambes aussi longues que les lignes droites de la route 66.

Sur sa tombe, sa femme, prénommée Linda, plus jeune que Hank de vingt-cinq ans, fit graver les mots « Don’t try » (« N’essayez pas »), ainsi qu’une paire de gants de boxe. Le célèbre écrivain avait en effet recours au vocabulaire de la boxe pour évoquer le processus d’écriture. « Au final, répétait-il aux jeunes écrivains, tu dois être bon au point que personne ne puisse le nier. » Il complétait : « J’ai reçu des lettres de refus par centaines. Et à chaque fois, je me disais : ‘’ Quelle bande d’imbéciles, ces éditeurs.’’ »

Cette biographie de 500 pages se lit comme un roman de Bukowski. Les fans plongeront avec délice dans les détails de la vie de cet écorché vif qui savait transformer la banalité du quotidien en roman tragi-comique, tandis que les nouveaux lecteurs trouveront dans celle-ci une porte d’entrée idéale pour appréhender l’œuvre atypique d’un éternel dégueulasse au grand cœur.

Neeli Cherkovski, Bukowski, une vie, Au Diable Vauvert. 504 pages.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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