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Ne tirez pas sur l’abstentionniste


Je l’avoue, j’aime être courtisée, même si pour cela, on me raconte quelques bobards. Du reste, avez-vous déjà vu un dragueur s’en tenir à la stricte vérité ? Imaginez le succès qu’aurait le goujat qui, à la question fondamentale « J’ai grossi, non ? », répondrait « Oui, il me semble que tu as pris quelques bourrelets, d’ailleurs, ce n’est pas terrible » : il risquerait d’être promptement renvoyé à ses chères études. Comme l’explique drôlement Cyril Bennasar, tout homme qui aime les femmes comprend qu’elles ont beau afficher leur exigence de vérité avec une conviction de fer, malheur à l’imprudent qui prendrait ces proclamations au pied de la lettre. Il en va ainsi pour les promesses : on sait bien qu’elles n’engagent que celles qui y croient, et pourtant, il suffit qu’un godelureau parle de week-end à Venise, et on se rue dans les magasins pour acquérir la douzaine de robes indispensables à la réussite du projet. Si on ne voit jamais la couleur des gondoles, au moins on n’aura pas tout perdu.

Encore faut-il ne pas trop en faire : la séduction est un art qui exige nuance et dosage. Même quand on n’y croit pas, la promesse doit être vaguement crédible. Par exemple, le type qui vous jure qu’il va quitter sa femme l’œil rivé sur sa montre tellement il a peur de se faire pincer s’il est en retard pour le dîner se rapproche plus du licenciement à effet immédiat que de la déclaration. Le plus impardonnable, en amour, n’est pas de mentir, mais de nous prendre pour des imbéciles.

Eh bien, nous dit Bennasar, en politique c’est pareil : le peuple veut bien qu’on l’enfume un peu, pas qu’on le prenne pour un con. Si le prétendant à nos faveurs électorales semble lui-même ne pas croire à son boniment, s’il ne se donne pas un peu de mal pour nous convaincre que cette fois « c’est du sérieux », ça ne prend pas. Ainsi, pour Laurent Dandrieu, Sarkozy, c’est fini : plus question, dit-il, de se laisser avoir par de belles paroles. En revanche, pour Charles Consigny, ça ne fait que commencer. L’amour aveuglerait-il ? Faut-il mettre son enthousiasme au compte de la jeunesse ? En tout cas, s’il ne reste qu’un sarkozyste, nous l’avons trouvé.

Revenons à notre leçon de drague. Ne croyez pas qu’on exige l’amour, ni même des preuves d’amour, juste quelques signes qui permettent à chacun de se raconter les histoires qu’il lui plaira, et de caresser le minuscule espoir que oui, cette fois sera la bonne. Le candidat, pour être l’élu de mon cœur d’électeur, doit tenter de me persuader qu’il fera ce qu’il dit, ou au minimum qu’il croit qu’il le fera – par exemple en expliquant pourquoi il ne l’a pas fait depuis cinq ans qu’il est à l’Élysée ; ou encore en me démontrant que la création d’emplois subventionnés et l’adoration du « modèle social » français, qui horripile Georges Kaplan, sont compatibles avec l’engagement claironné de retour à l’équilibre budgétaire en 2017. Au moins Jean-Luc Mélenchon joue-t-il cartes sur table. De bons esprits épris de calculettes ayant évalué le coût de son programme à 130 milliards, la nouvelle star, dont Jérôme Leroy, Théophane Le Méné et André Sénik analysent la popularité montante et dissèquent le discours, ne se démonte pas et précise, ligne par ligne, où il trouvera l’argent : dans les poches des « riches » pardi ! Et en plus, on se dit qu’il le ferait, le bougre ! On peut trouver, disons « excessifs » pour être polie, les moyens qu’il se propose de mettre en œuvre, mais au moins, il en a, et ça, ça fiche peut-être la trouille au bourgeois, mais ça plaît au populo autant qu’aux femmes.

Quoi qu’il en soit, pendant les élections, le peuple est roi. Jamais, peut-être, il ne l’a autant été que pendant cette campagne 2012, comme le montre Laurent Bouvet, auteur d’un essai remarqué qui l’inscrit clairement dans la gauche républicaine, Le Sens du peuple (Gallimard), et que nous nous réjouissons d’accueillir dans ces colonnes. Encore faut-il savoir de quel peuple on parle, car chacun a le sien, observe Bouvet. Certes, le peuple c’est moi, comme disait l’autre. Mais celui que tout le monde a lorgné avec des yeux de Chimène, c’est cette France invisible et inaudible entre les campagnes électorales, cette France des catégories populaires qui vit loin des caméras et des centres-villes – et qui, selon une étude Ipsos, représenterait 48 % de l’électorat. Autrefois, c’était elle le peuple de gauche, mais la gauche l’a plaquée, lui préférant la « coalition arc-en-ciel » – jeunes, femmes, immigrés, minorités – qui, selon Terra Nova constitue la France de demain. Autant dire qu’à chaque élection, elle a l’impression de se faire cocufier. Reine d’un jour, c’est chouette, mais ça ne nourrit pas son homme.

Qu’inventera la France d’hier et d’ailleurs, cette fois-ci, pour se rappeler au bon souvenir de ses élites ? De ce point de vue, le vote Le Pen est en partie démonétisé : la rançon de la dédiabolisation voulue par la candidate, c’est qu’on ne vote plus FN simplement pour dire « Merde ! ». Reste à savoir comment on dit « Merde ! », en langue électorale. S’il pense que Le Pen et Mélenchon sont des candidats « antisystème » institutionnels, l’électeur en révolte n’aura guère d’autre choix que l’abstention – qu’on annonce massive. À moins qu’il décide d’envoyer Philippe Poutou et Nicolas Dupont-Aignan au deuxième tour – ce serait farce… C’est que le Français n’est pas une fille facile. Il veut qu’on lui raconte de belles histoires auxquelles il ne croit pas ; il n’aime pas la façon dont il est gouverné, mais redoute que le pays soit ingouvernable ; il pense que râler est un droit de l’homme, tout en détestant ceux qui cèdent aux râleurs. Allez vous faire élire avec ça !

En attendant, la France s’ennuie. Sauf que, cette fois, ce qui l’attend n’est pas un joyeux monôme étudiant, mais une longue période durant laquelle l’unique horizon sera le désendettement de l’État – exaltant, non ? Peut-on en conclure avec Antoine Menusier que le pays a envie d’union nationale ? Certes, nous adorons que Papa et Maman restent copains après leur divorce – d’où le ravissement suscité par l’annonce d’un meeting Royal-Hollande. Mais cette union nationale qui acterait le fait qu’une seule politique est possible n’est pas très engageante quand on aime le bruit et la fureur du combat des idées.

Le premier parti de France sera-t-il celui des abstentionnistes ? Si tel était le cas, cela signifierait que, pour nombre de Français, le seul moyen de dire ce qu’ils ont à dire est de ne rien dire. Ce serait fâcheux pour le nouveau Président qui ne disposerait que d’une légitimité limitée. Ce serait aussi une très mauvaise nouvelle pour la démocratie. Or, aussi imparfaite et déprimante soit-elle, nous n’avons pas mieux en magasin.

 

 

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Avril 2012 . N°46

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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