C’est décidé : je demande l’asile politique en Arabie saoudite. C’est que, voyez-vous, je vivais en enfer et je ne le savais pas. Et si ça se trouve, vous non plus chères lectrices. C’est sans doute la preuve qu’on est aliénées, confites dans notre soumission aux hommes, bref volontaires pour la servitude. De vraies gourdes quoi.
Heureusement, la presse est là pour éveiller nos consciences. « Marre des machos ! », proclamaient hier, en « une » de Libé, quelques politiques du « beau sexe » – mince, « beau sexe », c’est sexiste, non ? Aujourd’hui, c’est l’Obs qui dénonce cette horrible « France des machos ». Et depuis deux semaines, l’inénarrable Caroline de Haas, présidente de « Osez le féminisme », recense inlassablement sur tous les plateaux les multiples avanies dont sont victimes les Françaises. La preuve, c’est que des milliers de femmes se rendent chaque jour dans son commissariat numérique, défonçant le « plafond de verre et de honte »[1. « Lumière crue », Nicolas Demorand, Libération, 30 mai 2011. Et comme je suis bonne fille et que ça vaut le coup, je vous donne l’adresse] pour raconter, enfin, l’horreur d’une « vie de meuf ». J’aimerais bien savoir pourquoi leur manif parisienne n’a rassemblé que 300 personnes, il doit y avoir des traitresses qui passent le dimanche avec leur Jules – ou leur Julie. Salopes ! Aïe, encore une gaffe, il faut vraiment que je me soigne.
D’accord, je ne devrais pas ironiser. Vous croyez que c’est marrant d’être une femme, j’aimerais bien vous y voir. On se permet tout, de leur dire qu’elles ont de beaux yeux ou que leur parfum sent bon, parfois les invite à dîner avec des arrière-pensées pas jolies jolies, vous imaginez le traumatisme (oui, oui, il y a aussi des histoires sordides, je suis au courant, mais ce n’est pas le sujet). Je me demande bien pourquoi elles claquent autant de fric dans des fanfreluches, ces dindes. Attention, j’ai pas dit qu’elles provoquaient. Prétendre que les femmes jouent parfois de leur charme pour obtenir une information ou un job, ce serait vraiment le comble de l’abjection. La victime transformée en coupable, on connaît la chanson. Non, si de nombreuses femmes arborent de jolis décolletés et se torturent avec de hauts talons, ce n’est certainement pas pour plaire. C’est qu’elles ont beau être moins bien payées que les hommes, du fric, elles en ont trop. Qu’elles m’envoient donc ces robes qui leur valent tant d’humiliations. Et les Louboutin avec. Mes copines et moi, on leur trouvera bien un usage.
Comme ces harpies, mâles et femelles, qui depuis quelques jours, appellent au djihad (ou si vous préférez à la croisade) contre les « machos », sont totalement dépourvues d’humour, je précise que je suis attachée à l’égalité entre les sexes. Et il ne m’a pas échappé qu’elle était loin d’être parfaite. Mais enfin, jusqu’à ces derniers jours, quand je pensais à mes grands-mères, je me disais naïvement que nous pouvions être fiers des progrès accomplis en une ou deux générations. Et plus fiers encore d’avoir conquis cette liberté sans renoncer aux plaisirs et aux tourments des relations entre les sexes. Pardonnez-moi, je ne savais pas. Peut-être que je ne voulais pas savoir.
Qu’on ne croie pas qu’il s’agit d’histoires de bonnes femmes. Heureusement, il se trouve des hommes – je n’ose pas dire des hommes des vrais ils le prendraient mal -, pour défendre cette sainte cause. Par exemple, Jean Quatremer, journaliste à Libération, devenu une star planétaire parce que lui, il avait prévu l’affaire DSK et même qu’il avait écrit, au moment de sa nomination au FMI, que ça finirait mal – il a paraît-il reçu 100 demande d’interviews depuis l’arrestation de l’ex-futur Président. Ou Nicolas Demorand, le directeur de Libé, qui dénonce ce « monde de vieux hommes blancs » qu’est la politique française – un peu comme la rédaction de Libé. Lui, s’il est patron, c’est parce qu’il est vachement intelligent. L’ennui, c’est que dans quelques années, lui aussi sera un « vieux homme blanc ». Au fait on en fait quoi de ceux-là ? Camp de travail, expulsion sur la lune ? En tout cas, comme il n’est pas absolument certain que de jeunes mâles pas blancs présenteraient de meilleures garanties de non-machisme, peut-être faudrait-il réserver l’éligibilité aux femmes, pas trop vieilles et pas trop blanches si possibles, qui comme chacun sait exercent le pouvoir avec bonté et mesure, ne piquent pas dans la caisse et ne lorgnent pas avec concupiscence le premier godelureau qui passe.
Je dois être particulièrement obtuse parce que je n’ai toujours pas compris comment, de l’affaire DSK, on en était arrivé à faire le procès de tous ces branleurs qui pensent qu’à ça et sont infichus de passer l’aspirateur – eh les gars, il faut commencer par le brancher. Je ne vois pas le rapport entre une tentative présumée de viol, une blague un peu « salon du camion », un mot doux et le refus de faire la vaisselle. Y aurait-il une pente glissante allant de l’un à l’autre ? En ce cas, les filles, soyez attentives : si votre Jules a tendance à être frappé de surdité quand vous le sommez de sortir la poubelle, il n’est pas exclu qu’il finisse par vous tabasser.
À quelque chose scandale est bon, affirme Demorand, ravi que « la parole se libère » – c’est marrant, parfois il s’étrangle de colère parce que les tabous sautent. J’avoue que toutes ces paroles en libertés, ça ne me plait pas tant que ça. Parce que si la parole libérée, c’est ce festival de récriminations, j’aime autant qu’on la remette en taule tout de suite, la parole. Cette bouillie où se mélangent injustices réelles et fantasmes victimaires, crime et érotisme, violence et séduction, invite et contrainte, inégalité salariale et grivoiserie, risque de peser longtemps sur nos estomacs.
D’accord, il faut toujours que je dise du mal. Je n’irai pas jusqu’à nier, cependant, que l’affaire DSK a au moins eu un effet vertueux en nous obligeant à regarder en face le véritable scandale : le partage des tâches domestiques qui, comme l’écrivait mon ami Muray « demeure depuis quinze ans totalement statique »[2. « Ce que j’aime », Minimum Respect, Les Belles Lettres, 2003]. C’est la grande affaire de Caroline de Haas, celle qui « ose le féminisme » – pendant que nous, on tremble tellement devant les hommes qu’il nous arrive de consentir au massage de pieds. L’égalité face au ménage, c’est son truc à Caroline. Le combat de sa vie. Sur le plateau « Ce Soir ou Jamais », alors qu’elle brandissait de très sérieuses études statistiques sur ce sujet fondamental, je lui ai proposé de créer une « Brigade des plumeaux » – sans lui arracher une ébauche de sourire, on ne peut quand même pas rire de tout, et surtout pas avec une n’importe qui comme ma pomme. Du coup, j’ai oublié de lui faire part de mon observation empirique qui est qu’en la matière, nos ennemis les hommes disposent d’un léger avantage de départ : leur résistance à des conditions hygiéniquement douteuses est souvent plus grande –ce n’est pas une loi, car on rencontre de nombreux maniaques de sexe masculin.
Mais je reviens au combat de Caroline, qui ne semble pas décidée à être ma copine. Mon ami Desgouilles suggère, pour améliorer la situation, l’installation de pointeuses dans tous les logis de France[3. Grâce à David, j’apprends qu’après notre petit échange, elle a envoyé ce tweet (en bonne réac, je ne tweete pas) : « Ouf. Vous conseille pas Elisabeth Lévy pour vos soirées. Par contre, si vous avez du ménage, elle a l’air d’aimer ça. » Finalement, je suis injuste, elle est drôle comme tout Caroline]. Pardonne-moi, cher David, mais je crois que j’ai trouvé mieux. La solution imparable. Equipons chaque foyer une des ces caméras de vidéo-surveillance dont nous ne voulons pas dans nos écoles. Parce que si nos bambins sont innocents, nos mâles sont coupables. Comme ça, on saura enfin qui ne rebouche pas le tube de dentifrice. Et croyez-moi, ils ne feront plus les malins. Pour les primo-délinquants, je propose le port obligatoire de la jupe. Quant aux récidivistes, ils seront condamnés à faire pipi assis, et peut-être dans les cas les plus graves, à allaiter. Fini le bon temps, les mecs!
Je dois dire que le monde enchanté de Caroline me fiche plutôt la trouille. Heureusement, la rééducation dont elle nous menace ne se fera pas en un jour. Avant que nos libératrices aient réussi à transformer tous les mâles en bons et honnêtes camarades ou, pour parler crument, en « gonzesses », nous pourrons encore faire de nos différences l’enjeu de la tendre, cruelle et excitante guerre des sexes. En attendant l’avenir radieux que vous nous promettez, Mesdames, nous serons nombreuses à accepter de nous sacrifier. Puisque vous n’aimez pas les « machos », nom que vous donnez aux hommes qui aiment les femmes, laissez-les nous. Nous saurons non pas quoi en faire mais quoi faire avec eux – et contre eux. Tout contre.
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