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Ne m’appelez plus républicain


Ne m’appelez plus républicain

Assez curieusement, je ne me suis jamais senti très proche de la mouvance « gauche républicaine » tel qu’elle s’exprime sur des sites comme ResPublica. Peut-être en raison de leur incapacité à penser les questions économiques et à rester fixés sur des problématiques sociétales, comme si rien n’avait changé depuis l’époque où Régis Debray avait théorisé la distinction entre démocrates et républicains… Mais depuis quelques temps, la famille semble muter, ou plus exactement, avoir enfanté une branche dissidente, à coté de laquelle Alain Soral et Marine Le Pen font figure de gentils centristes. J’évoque là le site de Riposte Laïque.

Ce site a commencé à faire parler de lui, il y a quelques semaines avec son apéro géant saucisson-pinard organisé en collaboration avec le bloc identitaire. Sur le moment, j’avais été davantage choqué par les réactions outrancières des bienpensants qui ont aussitôt hurlé au racisme et la xénophobie que par l’initiative elle-même. D’une manière générale, il en faut beaucoup pour me choquer, mais dernièrement, je suis tombé sur un article qui m’a révulsé : « La France collabo prépare la victoire de la France racaille et de la France Hallal ».

Je ne vais pas m’ériger en professeur de bonne vertu (ce n’est pas le genre de la maison) mais plutôt essayer d’analyser le discours de ces prétendus résistants laïcs et tenter de répondre à la question de savoir s’il peut être fait une place à ce discours identitaire dans la famille républicaine.

Un amalgame abject

Compte tenu de sa violence, l’article incriminé est probablement peu représentatif de l’abondante littérature produite par ce site, (du moins, espérons-le) mais il est intéressant par les amalgames auxquels il procède entre des sujets liés, peut-être corrélés statistiquement, mais qui devraient être strictement isolés dans l’analyse. À savoir : la nouvelle barbarie qui s’exprime fait divers après fait divers par des expressions de violences gratuites, les ratés de l’assimilation et le sentiment anti-France ou pour le dire avec leurs mots le « racisme anti-blanc », l’islamisation ou la hallalisation de certains quartiers, la pratique de la foi musulmane dans les lieux dédiés à cet effet, la culture « caillera » et l’immigration en général.

Tout cela est associé de manière indissociable comme s’il s’agissait d’une seule et même réalité. La France, présentée comme un pays où il faisait bon vivre (joli cliché qui mériterait quelques développements critiques), est décrite comme envahie avec la complicité coupable de ses dirigeants politiques par un peuple venu d’ailleurs qui serait cumulativement issu de notre empire postcolonial, farouchement hostile à la France, musulman pratiquant et prosélyte, vivant dans des banlieues qu’il aurait déjà transformées en zones où règne la loi de la jungle, violent et capable de toutes les barbaries.

Pour maintenir l’unité de cet agrégat d’horreurs, la technique est simple, efficace et redoutable. Elle consiste à s’appuyer les faiblesses de l’argumentaire de ceux qui s’opposent à eux.

L’improductivité des postures moralistes

En rejetant en bloc l’ensemble du propos sous couvert de considérations morales (c’est « mal » de penser ainsi) ils tombent dans le piège d’une présentation binaire où s’affronteraient des racistes identitaires et étrangers stigmatisés. Prenant parti pour les seconds – bons sentiments obligent – ils apparaissent comme tombant dans le déni de réalité et donc les complices  objectifs de ces nouveaux barbares. Les laïcards peuvent ainsi aisément se présenter comme les derniers défenseurs d’une France menacée de disparition et d’envahissement par des hordes barbares.

Ici plus qu’ailleurs, le discrédit moral est parfaitement inopérant. On a en effet parfaitement le droit d’être xénophobe et de vouloir défendre son identité culturelle. Les accusations de racisme portées après l’organisation de l’apéro saucisson-pinard étaient franchement grotesques et contre-productive. Affirmer que vouloir rester attaché à ses traditions alimentaires est une expression du racisme, revient en effet à souhaiter l’adaptation de la population autochtone aux mœurs des nouveaux arrivants. Au final c’est l’accusateur qui se voit discrédité.
Quant au qualificatif d’ »extrême droite », il ne veut strictement rien dire. Aucun de ceux qui manient cet anathème serait bien incapable de le définir. Tout cela n’est que conventions. On pourrait très bien faire commencer l’extrême droite aux positions souverainistes, protectionnistes et anti-européennes. Dans ces conditions j’en ferais partie et ce n’est pas ce qualificatif qui me ferait changer d’analyses ! Ce genre de réactions ne sert qu’à donner bonne conscience à ceux qui croient bon de s’insurger. Au mieux, elles n’ont aucun effet sur le mouvement de pensée qu’elles prétendent combattre. Au pire, elles en assurent la promotion, car qui peut nier que l’ensemble des phénomènes sociaux stigmatisés par Riposte Laïque existent, au moins à l’état de traces suffisamment visibles pour être perceptibles par les médias ?

De vrais problèmes qui appellent de vrais remèdes

Dans ces conditions, il est clairement contre-productif de nier la réalité ou même de la relativiser comme certains l’ont fait lors du débat sur la burqa. Dès lors que les médias rendent compte de ces phénomènes, ils existent dans l’opinion et apparaissent dans le débat public comme des problèmes que la classe politique se doit de résoudre.
En tant que provincial qui vit dans une ville de l’Est autrefois germanique et peu concernée par les flux migratoires issus de l’ancien empire colonial, je ne constate rien de ce que dénoncent les identitaires dans ma vie quotidienne. Les Arabes que je fréquente ne sont pas musulmans ou très modérément, sont parfaitement intégrés, parlent français y compris entre eux, supportent l’équipe de France au moins autant que celle de leur pays d’origine. Il n’y a pas de boucherie hallal dans mon quartier et je ne croise jamais de femme en burqa dans les rues. Je serais donc très tenté de minimiser les problèmes pour les circonscrire à cette immense zone pathogène et déshumanisée qu’est devenue la banlieue parisienne. Mais on ne va tout de même pas appeler à l’expatriation des banlieusards dans les bourgades de province ! Au fond, c’est bien là que ce situe le risque principal. Si les petits blancs décidaient de quitter les zones qui connaissent ces tensions ethnico-culturelles, on se retrouverait aussitôt dans la situation que décrit Zemmour dans « La chute de Rome », chapitre conclusif de Mélancolie Française.

Face à ce discours, la seule solution est d’entrer dans le détail des allégations, froidement, sans juger et sans même se boucher le nez, prendre position point par point, identifier les causes profondes des différents phénomènes incriminés, les qualifier et en cas de pathologie avérée de proposer des solutions adaptées.  Bref, faire un travail politique de fond. C’est uniquement ainsi que l’amalgame infâme entre immigrés, musulmans, habitants des cités, cailleras et nouveaux barbares pourra être brisé, et que ces questions pourront devenir des vraies questions politiques susceptibles de constituer l’embryon d’un nouveau projet de société.

C’est ce à quoi je me consacrerais pendant la période estivale dans une série de billets thématiques en formes de grands débats de l’été. J’aimerais passer en revue les nouvelles pathologies sociales dénoncées par les identitaires (notamment) en m’efforçant de conclure l’analyse sur des propositions concrètes à verser au débat. Compte tenu du caractère explosif de ses sujets, les discussions devraient être animées …

Peut-on cohabiter avec les identitaires ?

Sans développer la critique point par point, je saute donc directement à la conclusion et à la question que je posais en introduction : les identitaires ont-ils leur place dans la grande famille républicaine ? La question n’est pas totalement sans portée compte tenu des positions prises par DLR et le MPF menaçant d’exclusion tout militant qui se rendrait à l’apéro « saucisson-pinard », position dont je crois savoir qu’elle a causé quelques remous au sein du mouvement de Nicolas Dupont-Aignan.

Je me suis toujours refusé à ostraciser Marine Le Pen en raison de son patronyme ou du passé de son parti. Je suis même d’une extrême tolérance à l’égard de tous les mouvements et positions extrémistes, dès lors que des convergences m’apparaissent possibles sur les combats essentiels. Néanmoins, il existe une limite à ne pas franchir et Riposte Laïque me semble clairement se situer très loin au-delà.

Cette limite me paraît résider dans le concept de guerre civile. On pourrait être tenté d’affirmer qu’un vrai républicain ne peut que refuser cette perspective et se doit d’appréhender le peuple comme un tout un et indivisible, sans distinction de race, de religion ou de niveau socio-culturel. Cependant, les identitaires appréhendent leurs ennemis comme des extra-nationaux, voire des envahisseurs qui mettent en péril la République, la nation et la civilisation elle-même. Dans ces conditions, s’évertuer à les considérer comme des membres à part entière de la communauté nationale revient à leur demander d’intégrer un paradigme qui n’est pas le leur. L’argument ne parlera donc qu’aux convaincus.

La guerre civile ou la révolution

Le clivage ne peut donc que se cristalliser sur le concept de guerre civile. Certains considèrent qu’elle est inévitable, qu’elle est même souhaitable comme un passage obligé vers une réconciliation nationale, voire qu’elle est déjà en cours. D’autres chercheront à tout prix à l’éviter considérant qu’il s’agit du piège ultime tendu par le système pour assurer sa pérennité.

Je ferai ici référence à Emmanuel Todd et Alain Soral, deux auteurs qui, chacun a leur manière ont mis le risque de guerre civile au cœur de leurs analyses et de leur combat.

Dans Après la démocratie, Emmanuel Todd a traité de ce risque sous le vocable d’ »ethnicisation des rapports sociaux ». Il y voyait trois réactions possibles des sociétés face à la crise économique mondiale. Une réponse politique adaptée à la situation (pour lui le protectionnisme européen), l’ethnicisation des rapports sociaux, avec l’islamophobie pour expression principale, et la lutte des classes. Selon cette grille de lecture, la stratégie de la guerre civile constitue une alternative à toute dynamique révolutionnaire qui verrait les classes moyennes s’allier aux classes populaires pour remettre en cause les privilèges que se sont arrogés les classes dirigeantes. Il s’agit donc d’une réaction que le pouvoir en place aurait tout intérêt à favoriser.

Alain Soral ne dit guère autre chose lorsqu’il affirme que l’objectif de l’Empire mondialiste est de détruire ce qui reste des nations car elles constituent les seules forces de résistance possible à son extension infinie. Sa stratégie est de présenter l’Arabe ou le musulman comme bouc-émissaire pour jouer partout le jeu du conflit de civilisation et projeter les nations dans une situation de guerre civile larvée qui achèveraient de les détruire. Pour Soral le nationaliste, la surenchère identitaire est un piège à éviter. C’est pourquoi ses positions sur le concept d’assimilation sont plus que nuancée et qu’il a choisi de tendre la main aux Français musulmans (avec des méthodes que l’on peut juger discutable, mais c’est une autre histoire) dans l’espoir de faire renaître un patriotisme français où les enfants d’immigrés et un islam francisé auraient toute leur place.

La différence – et elle est de taille – entre Soral et Todd, est que lorsque l’un dénonce depuis longtemps la culture « caillera » de ceux qu’il appelle les zyva, l’autre donne dans l’angélisme le plus exaspérant, refusant de voir dans la problématique des banlieues autre chose que des difficultés économiques, des révoltes à caractère social exprimant un désir d’égalité quand ce n’est pas des mariages mixtes records attestant de l’exceptionnelle capacité d’assimilation de la nation français !

Du républicanisme au souverainisme

L’Ennemi n’est pas intérieur. Il est dans les structures de la domination économique mise en place l’Empire américain et les élites mondialisées via le désarmement méticuleux des puissances publiques et la corruption des processus démocratiques par la pensée unique et la bien-pensance moraliste.

Aussi, à la question de savoir si les identitaires et les islamophobes déguisé en résistants de la laïcité peuvent avoir une place dans la famille des républicains, je réponds clairement non. La posture identitaire est le « côté obscur » de l’anti politiquement correct, la voie la plus simple, la plus facile, la plus rapide. Inutile de se fatiguer à s’attaquer aux questions économiques ou géopolitiques, ni d’imaginer des solutions, la dénonciation de l’Ennemi tenant lieu de pensée et de programme. Tout parti contestataire qui entrouvrirait la porte aux identitaires changerait aussitôt de nature, s’enfermerait dans la dénonciation stérile et se rendrait incapable de tout discours sur l’Europe, la monnaie ou la concurrence généralisée. Nicolas Dupont-Aignan a eu bien raison de s’opposer à toute ouverture à cette thématique.

Qu’en sera t-il en revanche, t-il du FN dirigée par Marine ? Jusqu’ici elle a émergé avec une critique économique et sociale solidement argumentée où d’ailleurs elle excelle. Va-t-elle poursuivre sur cette voie exigeante ou succomber à la tentation d’intégrer à son discours une dimension identitaire et islamophobe sur le modèle des partis populistes d’Europe du Nord ? La question de la fréquentabilité du marinisme reste donc ouverte …

En attendant, puisque ces gens revendiquent le qualificatif de républicain, je leur laisse bien volontiers. Il y a désormais tellement de tout dans la famille républicaine, du génial de l’infréquentable comme dur insignifiant. Ce terme qui n’a d’ailleurs jamais été bien porteur politiquement est désormais piégé. Autant l’abandonner au profit de celui de souverainiste. La liberté politique des peuples et leur capacité à maîtriser leur destin par la politique et la démocratie n’est manifestement pas le sujet des identitaires. En revanche, c’est bien le nôtre. Ça tombe bien.



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