Comme beaucoup de monde, Philippe Bilger est lassé de l’effervescence politico-médiatique après l’allocution d’Emmanuel Macron mercredi
Sur le plan de la gestion de l’épidémie, avant même l’allocution du président de la République le 31 mars, la France était partagée en plusieurs familles : les « enfermistes », les « rassuristes » et les béats.
J’oublie une dernière catégorie : les ignorants qui se subdivisent en optimistes ou pessimistes, en silencieux (les moins nombreux) et en personnes sommées de donner un avis par jour et traitées d’incertaines ou de frileuses si elles y répugnent.
Ce n’est pas minimiser l’état de la France, ne pas se soucier de ses morts et oublier les détresses économiques, sociales et psychologiques que d’exprimer un ras-le-bol sur le plan médiatique. Il n’est pas une émission dont la Covid-19 ne soit pas le sujet principal. Dans notre quotidien, rares sont ceux qui ne dissertent pas sur le fléau, avec peur ou espérance. Osons dire qu’à la lassitude, la résignation ou face au désespoir des Français, il n’est pas nécessaire d’ajouter la profusion et l’inutilité verbales.
J’entends bien que n’importe quel citoyen peut être tenté de s’immiscer dans la cacophonie politique et médicale, puisqu’elles surabondent et qu’elles ont donné libre cours à une multitude d’interventions intempestives.
D’ailleurs les réactions après le discours du Président ont été parfaitement partisanes comme on pouvait s’en douter. Rien n’a trouvé grâce aux yeux de l’opposition: incohérence, Waterloo…
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Pour aborder le fond de mon billet, si parfois j’ai succombé au péché que je dénonce, la plupart du temps je n’ai pas hésité à faire état de mon ignorance qui m’interdisait d’avoir la prétention d’offrir un apport substantiel aux échanges. J’ai beaucoup réfléchi sur le juste milieu à trouver entre prolixité péremptoire et effacement ridicule.
Je fais une distinction capitale entre ce que le citoyen curieux et informé a le droit de critiquer quand la réalité le justifie et les analyses et propositions sanitaires techniques que je serais bien incapable d’énoncer. Au risque de choquer beaucoup d’adeptes du « il n’y a qu’à » ou de procureurs manichéens, il y a une multitude de propos qui sur les plateaux télévisés ont à peu près autant de légitimité que si je me mettais à disserter sur la physique quantique. La démagogie consistant à décrier les experts, parmi lesquels il en est d’authentiques (ce sont les plus modérés), ne doit pas laisser croire à n’importe qui que sa parole est attendue et vaut de l’or.
En revanche je maintiens que ce n’est pas sortir de son rôle que pourfendre ce qui depuis tant de mois crève les yeux du Français et exaspère le citoyen. Toutes les polémiques sur les masques et les tests, sur le manque de lits de réanimation et l’immobilisme face à cette pénurie, sur l’infinie lenteur de notre appareil bureaucratique et sanitaire, sur notre manque de réactivité, sur le fiasco initial de la vaccination difficilement redressé – le volontarisme du président sur ce plan ne va pas comme par magie créer les doses – ont été utiles puisqu’elles n’ont fait que renvoyer au pouvoir politique l’image sinon de son incompétence du moins de sa relative impuissance, voire de son contentement injustifié.
J’accepte donc volontiers, au risque d’être bousculé, de prendre acte d’un constat négatif relevant de l’infrastructure, de la matérialité, de données objectivement négatives mais de m’abstenir de donner des conseils à un pouvoir qui lui-même, d’abord soumis au savoir des professeurs et du Conseil scientifique, s’en est délié à la fin du mois de janvier avec, en retour, l’acrimonie de certains spécialistes furieux d’avoir été dépossédés et aggravant ainsi, par leurs chiffres surestimés pour le futur, la sinistrose.
Et on voudrait que j’ajoute mon grain de sel à cette effervescence, mon écot à ce rapport orageux qui, sous l’apparence, est bien plus politique que technique ? À cette lutte d’influence dont les Français ne méritent pas de pâtir ?
Mon ignorance n’a pas à choisir un camp, mon devoir est d’être modeste et responsable. Si, sur ce plan, je pouvais être contagieux, je serais comblé.
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