Nazarin, un film méconnu de Luis Buñuel
Si les grands chefs-d’œuvres signés par Luis Buñuel dans les années soixante et soixante-dix (Belle de jour, Tristana, Cet Obscur Objet du désir…) lui permettent d’acquérir une reconnaissance internationale, ses films mexicains sont aujourd’hui inconnus du public français qui n’a pas la possibilité de les voir[tooltips content= »Il était prévu que ce film ressorte avant l’épidémie mais rien ne nous empêche de prendre date pour le jour béni où les salles obscures rouvriront NDLR »](1)[/tooltips].
Un film mexicain de 1959
Buñuel débute sa carrière avec Le Chien andalou (1929) et L’Age d’or (1930), deux films marqués par l’influence du surréalisme. Après Terre sans pain (1933), interdit par la jeune République espagnole qui n’apprécie pas la transcription au cinéma des mœurs de ses régions les plus déshéritées, il ne tourne plus. De 1934 à 1936, vivant entre Madrid et Paris, il effectue de nombreux métiers, travaillant pour la Paramount puis réalisant pour l’Espagne, des films commerciaux – exigeant que son nom ne figure pas au générique – afin de faire vivre sa famille. Lorsque la guerre civile se déclenche, il se met au service de la République espagnole, effectuant diverses missions… Puis, il part aux États-Unis où il sert la cause républicaine. Il y reste huit ans, trahit par son ami Salvador Dali, qui rejette sur lui l’entière responsabilité des propos marxistes de L’Age d’or. Mis en cause par une campagne de presse et surveillé par la FBI, Luis Buñuel part au Mexique. Entre 1946 et 1965, il y tourne 24 films pour la plupart superbes (Los Olvivados, Suzana la perverse, Les Aventures de Robinson Crusoé, La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz, La Mort en ce jardin, Nazarin, La Jeune fille, Viridiana, L’Ange exterminateur…).
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Au Mexique, en 1900, pendant le règne du dictateur Porfirio Diaz, le père Nazario (Nazarin), un prêtre humble et bon, vit et partage la misère profonde des gens d’un petit village. Une dispute entre prostituées l’amène à héberger et protéger l’une d’entre elles, Andara, soupçonnée du meurtre de sa cousine. Désavoué par l’Église, il doit fuir et mène une vie d’errance et de mendicité. Il rencontre à nouveau sur son chemin Andara et Béatriz qui à la suite d’un miracle – un acte de prière et d’amour – deviennent ses disciples… Nazarin, interprété par l’excellent Francisco Rabal, prêtre extrêmement pieux, mène une vie austère et se consacre par la charité et la prière au service de ses compatriotes en contradiction avec les principes des institutions religieuses mexicaines. « Vivre de charité n’est pas un précepte assez digne », lui dit un curé. Face à sa hiérarchie, Nazarín, imperturbable, continue de vivre sa foi dans la pauvreté et l’amour de son prochain.
Une foi à l’épreuve
Avec une mise en scène très dépouillée, des cadres rigoureux et sobres, et la superbe lumière en noir et blanc de son chef-opérateur Gabriel Figueroa[tooltips content= »illustre chef-opérateur de Que Viva Mexico de Serguei Eisentein, de Dieu est mort de John Ford et du grand cinéaste mexicain Emilio Fernandez »](2)[/tooltips], Luis Buñuel peint un portrait cruel et amer de ce bienheureux.
Condamné à errer dans un Mexique ravagé par la pauvreté, la famine, les épidémies et l’injustice, Nazarin se trouve désemparé car sa bonté et sa charité ne semblent pouvoir sauver personne du Mal. Face à la méchanceté et la cruauté des hommes, il ne rencontre que violences, doutes, trahisons, désolations, qui mettent en péril la force de sa foi, sa quête spirituelle, sa volonté d’appliquer le message des Évangiles. Sa vie semble se dérouler sous l’aride soleil de Satan.
Ce film plein d’ironie peut sembler être une charge sévère contre le catholicisme. Mais nous constatons que la foi inébranlable de Nazarin porte en fait le message christique à plusieurs reprises, quand bien même l’ombre du doute et le travail du diable marquent un instant le visage du prêtre avant la fin. Une petite fille est guérie à la suite de sa prière, Andara ne l’abandonnera jamais. Un assassin et pilleur d’églises lui vient en aide, et une vendeuse de fruits lui offre un ananas qu’il accepte in extrémis lors de sa marche vers la prison. Nous suivons le calvaire du bienheureux Nazarin qui rachète malgré-eux les fautes des hommes. Les voies du Seigneur sont impénétrables et font de ce film âpre et ascétique, un chef-d’œuvre lumineux.
Nazarin un film de Luis Buñuel – 1959 – 1h35
Interprétation: Francisco Rabal (Nazarin), Marga López (Beatriz), Rita Macedo (Andara), Jesús Fernández (Ujo)
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