Les résultats de Nayib Bukele en matière sécuritaire étant impressionnants et profitant à toute la population, il a été réélu triomphalement pour un second mandat le mois dernier. Toutefois, on ne fait pas d’omelette sans casser quelques œufs…
À l’inverse de l’image donnée par la presse, l’élection le 4 février du président salvadorien, Nayib Bukele, 43 ans, Palestinien de la troisième génération, à un second mandat de cinq ans, n’est pas anecdotique, et lui encore moins un « huluberlu ». Sa réélection pose deux questions de fond que ledit État de droit élude. Est-ce que le droit à la sécurité de tout un chacun n’est pas celui qui doit primer sur tous les autres ? Et est-ce que la limitation des mandats, qui tend à se généraliser, ne porte pas atteinte au libre choix des électeurs ?
Un score canon
S’il a été plébiscité, en recueillant 84,6% des suffrages et en réduisant l’opposition à trois sièges sur les 60 de l’Assemblée législative, chambre unique, c’est parce qu’il a réussi l’impossible : éradiquer les « maras », ces gangs importés de Los Angeles par les migrants de retour au pays après les accords de paix de 1992 et qui avaient mis en coupe réglée le pays, le plus petit d’Amérique centrale, deux départements et demi français, mais le plus densément peuplé avec 310 habitants au km2. Le Salvador a été de 1980 à 1992 le théâtre d’une guerre civile qui a fait 80 000 tués. A leur démobilisation, bon nombre de guérilleros « perdus », n’ayant pas été intégrés dans l’armée régulière, mais forts d’une compétence acquise au cours de ces 12 années de lutte armée, rejoignirent les « maras », contribuant de la sorte à qu’elles s’érigent en un quasi-Etat.
Pour y parvenir, Nayid Bukele n’a pas eu d’état d’âme ni lésiné sur les moyens. Estimant que les droits de l’homme doivent bénéficier aux honnêtes gens et non aux criminels qui s’en moquent, il confia, à peine investi, à l’armée, autorisée à ouvrir le feu, la traque des membres de ces gangs, faciles à identifier car tatoués des pieds jusqu’au visage, construisit une prison de 40 000 places « d’où on ne sort plus quand on y rentre ». Et envoya 75 000 de ces tatoués derrière les barreaux. C’est comme si la France avait construit 400 000 places de prison et incarcéré 750 000 délinquants.
Exceptionnel
Les vendredi et samedi 22 et 23 mars 2022 furent la fin de semaine la plus sanglante depuis la conclusion de l’accord de paix : 87 individus furent tués dans l’agglomération de San Salvador, la capitale, qui compte en tout près de 2 millions d’habitants, un tiers de la population du pays. D’urgence, le samedi soir, Nayid Bukele convoque une cellule de crise, le lendemain matin fait voter à une majorité des deux tiers l’Etat d’exception qui entre immédiatement en vigueur. L’armée déboule alors dans les quartiers sous contrôle des deux principales « maras », Salvatrucha (Sauvetruite) et Barrio 13 (Quartier 13) et procède à des rafles massives. Le résultat a été immédiat et spectaculaire. En 2018, un an avant son accession à la présidence, le taux d’homicides était de 56 pour 100 000 habitants, le plus élevé au monde à l’époque. En 2023, il n’était plus que de 2,5. En France, il est de 1,5. Anticipant les reproches rituels des ONG, de l’ONU, sur l’atteinte aux valeurs démocratiques, lui-même se qualifia de dictateur, mais de « dictateur cool ».
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Tenue décontractée-chic, courte barbe, chevelure gominée rejetée en arrière, parfois coiffé d’une casquette visière sur la nuque, Nayib Bukele est un personnage assurément déconcertant, car, à première vue paradoxal.
Publicitaire de profession, à ce titre, il a été chargé de la com du principal parti de gauche, le Front Farabundo Marti de Libération nationale (FMLN), héritier du mouvement de guérilla quand, suite à l’accord de paix, celui-ci a troqué les balles pour le bulletin. Pendant 30 ans, il alterne au pouvoir avec le parti de droite Alliance pour la Renaissance nationale (ARENA), jusqu’en 2019, quand Nayib Bukele est élu président à la surprise générale dès le premier tour avec 53% des voix. Dégagisme et sécurité avaient été les deux thèmes de campagne.
Bitcoin City
Auparavant, Nayid Bukele a été pendant six ans un élu de terrain, notamment maire de la capitale sous l’étiquette FMLN qui l’exclura pour « dérive droitière ». Puis à la tête de l’Etat, trois ans avant qu’il soit côté à Wall Street, il adopte le bitcoin comme devise nationale avec le dollar. Son projet est d’ériger une ville nouvelle, la Bitcoin-city, qui se consacrerait à la production de la cryptomonnaie. Son ambition est de faire du Salvador une plateforme à « start-ups ». Fan de surf, pour donner une image fun de son pays, il transforme aussi trois modestes stations balnéaires en Surf-city…
Second président d’origine palestinienne, père chrétien converti à l’islam, mère et épouse catholiques (cette dernière a eu un grand-père juif), lui se dit sans religion. Le lendemain du pogrom du 7 octobre, il fait une déclaration fracassante : « La meilleure chose qui puisse arriver au peuple palestinien est la disparition du Hamas. Ces bêtes sauvages ne représentent pas les Palestiniens. Quiconque soutient la cause palestinienne commettrait une grave erreur en se rangeant du côté de ces criminels. »
En principe, la constitution lui interdisait de se présenter à un second mandat, à moins d’attendre dix ans. Mais c’était sans compter sur une maladresse dans la rédaction de l’article concerné. Il saisit la Cour constitutionnelle. Celle-ci tranche en sa faveur. L’article proscrit « deux mandats de suite ». Les juges estiment qu’en effet s’il démissionne six mois avant l’échéance de son premier mandat, il n’enchaîne pas « deux mandats de suite » et peut donc postuler puisqu’il y a eu ce qu’on appelle « une solution de continuité ». S’il n’avait pas pu se présenter, les Salvadoriens auraient eu droit à nouveau à un duel entre les deux candidats du FMLN et l’ARENA qui ont recueilli respectivement 6,4% et 5,5% des voix, et chaque parti, l’un deux députés, l’autre un. Les urnes ont tranché sans appel.
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