Le naturisme n’a jamais été autant à l’honneur à Paris. Avec la bénédiction d’Anne Hidalgo, par le vote communautaire alléchée, les 88 000 naturistes d’Île-de-France bénéficient d’un espace au bois de Vincennes, d’une journée nationale, d’une matinée spéciale au Palais de Tokyo, de spectacles et autres restaurants où se sustenter sans chemise ni pantalon. Pour comprendre les tenants et aboutissants du phénomène, Cédric Amato, vice-président de l’Association des naturistes de Paris, a répondu aux questions de Causeur. Entretien.
Daoud Boughezala. A seulement 27 ans, vous êtes vice-président de l’Association des naturistes de Paris. Comment êtes-vous venu à cette pratique ?
Cédric Amato. Ne venant absolument pas d’une famille de naturistes, je m’y suis mis à 18 ans par un premier essai avec des amis sur une plage de Vendée dans la plus grande discrétion. Puis j’ai fini par revenir dans ces endroits naturistes dont j’ai adopté systématiquement la pratique. Et ce n’est qu’en février 2017 que je me suis engagé dans une association. Habitant Paris, j’étais en quête de lieux où pratiquer le naturisme en dehors des vacances. Il faut savoir qu’avec 2,6 millions de visiteurs naturistes chaque année la France est la première destination naturiste au monde.
J’ai rencontré un responsable politique connu, un sous-préfet, des ouvriers, et des chefs d’entreprise naturistes.
Comment définiriez-vous le naturisme ? Est-ce une contre-culture, une philosophie de vie, une idéologie ?
Le naturisme est à la fois une pratique et un mode de vie. Autrefois perçu comme minoritaire, il se définit par le fait d’être nu mais ne s’y réduit pas. Pratiquer le naturisme, c’est avoir le goût de la liberté et du plaisir, cultiver un certain rapport à la nature, au corps et aux autres. Contrairement aux idées reçues, le naturisme est détaché de toute pratique sexuelle. Au contraire, la nudité désexualise en banalisant la vue des corps nus, ce qui fait disparaître toute tentation perverse là où une tenue vestimentaire donne envie d’en voir plus. J’y vois des vertus sociétales très positives. Le naturisme m’a ainsi permis de faire des rencontres que je n’aurais pas pu faire ailleurs. Par exemple, j’ai rencontré un responsable politique connu, un sous-préfet, des ouvriers, et des chefs d’entreprise. Quelle que soit la catégorie sociale, c’est une pratique en plein essor qui satisfait de plus en plus de monde.
A Paris, n’est-ce pas un loisir plutôt réservé aux catégories supérieures ?
On voit de tout. Notre association comporte par exemple une soixantaine d’étudiants et des jeunes femmes entre 18 et 35 ans. A travers l’organisation d’événements culturels comme la visite naturiste du Palais de Tokyo le 5 mai ou le premier spectacle humoristique naturiste de Paris, on attire des profils qu’on n’aurait jamais réussi à capter auparavant. Nous sommes régulièrement contactés par des gens qui souhaitent pratiquer le naturisme en milieu urbain à Paris, ainsi que par des sociétés et des bars qui proposent de nous accueillir. Au total, nous sommes 88 000 naturistes en Île-de-France !
Au bois de Vincennes, j’ai vu une femme voilée qui a fini par enlever le bas tout en restant dans son coin.
Et cette année, la mairie de Paris vous offre 7300 mètres carré d’espace naturiste dans le bois de Vincennes durant six mois. Au vu de la population interlope qui traîne dans le quartier, ne craignez-vous pas des altercations avec des individus issus de cultures plus pudibondes que la nôtre ?
Même si l’espace nudiste du bois de Vincennes n’est pas clôturé, il faut aller le chercher pour le trouver. Evidemment, des promeneurs auront la surprise de le trouver mais nous sommes ouverts aux autres. Pendant les six semaines de la phase d’expérimentation l’an dernier, nous avons connu un plein succès. Le 15 octobre, nous étions 730 ! Certes, les différentes cultures peuvent parfois ne pas se comprendre mais les plus curieux sont les bienvenus. Nous ne sommes pas communautaires car nous n’imposons pas la nudité aux autres. J’ai même vu une femme voilée qui a fini par enlever le bas tout en restant dans son coin. Bien que le naturisme soit devenu une pratique occidentale, nous n’entendons pas imposer notre culture. Réciproquement, nous respectons toutes les cultures dans leur pratique.
En attendant, vous semblez être dans les petits papiers de la mairie de Paris. Les événements naturistes se multiplient dans la capitale : cours de yoga, tournoi de bowling nu, première Journée Parisienne du Naturisme, séances naturistes à la piscine. Si Anne Hidalgo vous caresse dans le sens du poil, est-ce parce qu’elle a pris conscience de votre poids électoral ?
Probablement. C’est un phénomène intéressant. Nous sommes un électorat potentiellement puissant bien que nous ne votions pas tous de la même façon. Anne Hidalgo nous soutient mais ce n’est pas la seule personnalité politique à le faire. Quand nous avons annoncé l’ouverture d’un lieu naturiste au bois de Vincennes, aucun politicien ne s’y est opposé. Tous les partis politiques sont même venus nous saluer, qu’ils viennent du camp progressiste ou autre. D’ailleurs, nous lançons la première édition de la Journée Parisienne du Naturisme le 24 juin 2018. Cette journée aura lieu chaque dernier dimanche de juin pour défendre la pratique du naturisme et combattre les idéologies et stéréotypes un jour symbolique dans une ville qui est très observée dans le monde. Nous intéressons le monde entier car nous exprimons un besoin de nudité, bien au-delà d’une simple mode.
Sauf mesure exceptionnelle, il est tout à fait légal de se promener nu dans les rues de Madrid.
Et pour assouvir ce « besoin », vous portez une revendication : faire modifier l’article 222-32 du Code pénal qui punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui. Comprenez-vous qu’on considère l’exhibition comme une forme agressive de prosélytisme, notamment à l’égard des enfants ?
La loi n’emploie pas le terme approprié et aboutit à des amalgames que nous souhaitons casser. Jouer au bowling ou au volley-ball nu n’est en aucun cas une exhibition sexuelle. Nous réclamons une considération légale de la nudité. A cette fin, nous voulons contacter le Premier ministre pour lui soumettre notre demande de modification de la loi. Si vous passez nu devant votre fenêtre et que votre voisin vous voit, si vous désirez prendre un bain de soleil nu dans votre jardin et que vous êtes visible, vous tombez sous le coup de cet article de loi. La France ferait bien de s’inspirer du modèle espagnol car la législation adoptée après la mort de Franco fait de la nudité un droit. Sauf mesure exceptionnelle, il est tout à fait légal de se promener nu dans les rues de Madrid même si les gens s’abstiennent de le faire par respect pour les autres. Ici, seul un arrêté municipal peut nous autoriser à nous balader nus. De plus, il est important de dire que les enfants ne sont pas perturbés par la nudité et que c’est l’éducation inculquée par les parents qui fait la différence. De très nombreuses familles pratiquent le naturisme avec des enfants de tout âge.
A long terme, rêvez-vous d’une société où tout le monde pourrait vivre nu au travail, à l’université et dans la rue ?
Nous souhaitons une société de tolérance, sans imposer aux autres quoi que ce soit. Cela ne passe pas forcément par une majorité de naturistes. A ceux qui veulent vivre nus de pouvoir le faire. Dans notre esprit de liberté, chacun peut vivre comme il l’entend.
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