Dans Au long des Jours, Nathalie Rheims évoque un amour de jeunesse pour le chanteur Mouloudji et restitue les années 70
Elle a 18 ans, il en a trente-cinq de plus qu’elle, ça n’a pas d’importance puisqu’elle l’aime. Nous sommes à la fin des années 70. C’est une période de respiration profonde, où le mot liberté n’est pas galvaudé. Tout est encore possible, il faut seulement savoir saisir sa chance.
Elle se nomme Nathalie Rheims. Elle a été comédienne puis a écrit des romans. Sa sœur est la célèbre photographe, Bettina. Au long des jours lui est dédié. Leur père est Maurice Rheims, académicien, commissaire-priseur de grande réputation, homme couvert de femmes, comme son ami, l’écrivain Paul Morand, dont il fut l’un des exécuteurs testamentaires.
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Lui, l’oiseau de passage, mais pas de malheur, fut acteur, romancier, peintre et surtout chanteur. Il n’est jamais nommé par la gamine. Mais on sait tout de suite qui il est. La couverture du livre reproduit le Polaroid en noir et blanc pris par Bettina. Large sourire, cheveux de jais bouclés, regard tendre et tourmenté, Nathalie se serre contre lui, visage enfoui dans son cou, le bras entourant ses épaules. Lui, il a mis sa main sur sa taille. Les cheveux de la gamine cachent son regard. Elle sourit, d’un sourire juvénile et candide. Au fil des pages, Nathalie Rheims égrène les paroles de ses chansons. Les anciens reconnaîtront les tubes de leur adolescence.
Il y en a un que je ne peux écouter sans éprouver une émotion chavirante : « Un jour tu verras ». La voix de Mouloudji m’a toujours ému. Une voix chaude, qui roule les « r », soutenue par un accordéon. « Une voix de velours à côtes » pour reprendre l’expression d’Antoine Blondin, citée par Nathalie Rheims.
L’oiseau est marié à une femme possessive, terriblement jalouse. Si l’on ajoute la grande différence d’âge, cela ne permet pas d’envisager une relation durable. Mais la gamine est attirée par son magnétisme, ses yeux tourmentés par la mort, sa peau tant de fois mordue par des femmes qui ne seront jamais des rivales.
Elle sait que le donjuanisme est une solitude cernée de présences féminines. Son père en est le meilleur exemple. Même si ce n’est pas un récit biographique, on en apprend beaucoup sur Mouloudji. Son appartenance au clan Sartre, son engagement communiste, son amitié avec Simone de Beauvoir qui corrigea ses premiers écrits, sa mère qui le battait pendant des crises de démence, son père, Saïd, venu de Kabylie, analphabète, la plupart du temps chômeur, qu’il vénérait. Son frère aîné, gravement malade, mort jeune. Nathalie Rheims avait, jusqu’à ce livre, dont le titre est celui d’une chanson de « son » oiseau, tenu secret leur amour.
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Elle nous offre un roman impressionniste, pudique et émouvant, surtout quand elle raconte leur ultime rencontre. Mouloudji a le visage émacié, la maladie est à l’œuvre, l’artiste refuse les traitements. « Il releva le col de son caban, et je le vis disparaître », écrit-elle sobrement.
Grâce au talent de la gamine, on a envie de réécouter les chansons de Marcel Mouloudji (1922/1994). C’est l’hiver, la mer est grise sur un horizon gris. « Merci pour les filles au corps de printemps ». Oui.
Nathalie Rheims, Au long des jours, Editions Léo Scheer.
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