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Natalie Portman rêve d’un monde sans fantasme

La volonté et la libido masculine sont deux choses différentes


Natalie Portman rêve d’un monde sans fantasme
Natalie Portman lors de son discours à la Women's march de Los Angeles, 20 janvier 2018. SIPA. AP22154296_000003

Surfant sur la vague de la révolution culturelle des femmes en noir d’Hollywood, Nata­lie Port­man a évoqué, lors de la Women’s March de Los Angeles, le traumatisme sexuel inaugural de sa carrière, survenu il y a près de 25 ans.

Après avoir tourné le film de Luc Besson Léon, à l’âge de 13 ans, la première lettre de fan qu’elle reçut était celle d’un homme qui rêvait de la violer ; une radio lança un décompte imbécile sur le nombre de jours avant qu’elle atteigne l’âge de 18 ans, où il serait permis de lui faire l’amour ; des critiques de cinéma « mention­naient ses seins nais­sants dans leurs articles ».

Pour échapper à ce « terro­risme sexuel ambiant », elle s’est forgée une réputation d’intellectuelle sérieuse, de « jeune fille prude et conser­va­trice », refu­sant les rôles dénu­dés et s’éloi­gnant même des studios pour reprendre ses études. Il n’est pas inutile de rappeler qu’elle était mannequin pour les maquillages Revlon dès l’âge de dix ans.

Natalie Portman contre les fantasmes masculins

Même si Nata­lie Port­man n’accuse pas Luc Besson, son discours récent n’est peut-être pas sans rapport avec le fait que celui-ci a été accusé récemment d’être un prédateur sexuel par Asia Argento une des victimes (très consentante) d’Harvey Weinstein. Ceci parce qu’il vécut – il y a 25 ans – avec une fille de 15 ans alors qu’il en avait 31 (l’âge de la majorité sexuelle était de 15 ans en France).

Ce que le discours de Nata­lie Port­man dénonce comme la culture du viol, c’est avant tout l’expression de fantasmes masculins. Elle n’évoque pas des faits plus graves, comme la complaisance sociale à l’égard du viol, la culpabilisation des victimes, les difficultés à porter plainte, ou la mansuétude des juges.

Nata­lie Port­man rêve d’un monde où elle pourrait s’habiller comme elle veut, dire ce qu’elle veut, et exprimer ses désirs de la façon dont elle le souhaite, sans craindre pour sa sécurité physique ou sa réputation : « voilà ce que serait le monde dans lequel le désir des femmes et leur sexualité pourrait s’exprimer pleinement. Ce monde que nous voulons construire est l’opposé du puritanisme », dit-elle.

Ce monde merveilleux où les femmes s’habilleraient comme elles veulent, sans susciter de réaction, même mentale, où le désir masculin semble absent, a quelque chose d’utopique et de puritain, malgré son déni.

Personne n’est coupable de désirer ni de susciter du désir

Le scénario du film Léon est chaste, mais son héroïne est une femme-enfant rendue désirable, même si elle n’avait pas l’âge du consentement légal. Le film suscite donc des fantasmes de viol, au sens légal du terme. On peut comprendre que la jeune Nata­lie Portman n’ait pas été psychologiquement préparée, mais ses parents auraient dû le faire en tenant compte des bénéfices et des risques de l’aventure ; difficile d’accepter les uns en refusant les autres. A 13 ans, ses parents auraient dû filtrer son courrier…

Natalie Portman dans "Léon" de Luc Besson, 1994.
Natalie Portman dans « Léon » de Luc Besson, 1994.

De manière globale, ce qui est gênant dans ce mouvement des femmes en noir – accompagné d’une vaste chasse à l’homme remontant le cours de l’Histoire – c’est que les hommes paraissent coupables de toute expression du désir suscité par les femmes. Or personne n’est coupable de désirer ni de susciter du désir. Seuls des actes peuvent être coupables.

La volonté et la libido masculine sont deux choses différentes

Clémentine Autain a également décrit cette vision de l’oppression sexuelle :

« Nous héritons des représentations traditionnelles, de ces contes et réalités dans lesquels les femmes sont des Belles au bois dormant qui attendent le Prince charmant, des objets soumis à la volonté et à la libido masculines. Dans ce monde, la sexualité des hommes se conçoit comme irrépressible, la prostitution comme un « mal nécessaire ». Dans ce monde, les viols ne sont pas des crimes exceptionnels mais des faits courants et massivement impunis. »

Notons que lorsque des femmes allemandes ont été agressées sexuellement par des immigrés au Nouvel An 2016 à Cologne, Clémentine Autain semblait considérer cela comme un fait courant au sujet duquel elle a émis ce tweet : « Entre avril et septembre 1945, deux millions d’Allemandes violées par des soldats. La faute à l’Islam ? ».

Le problème fondamental qui apparaît dans le tableau dressé par Clémentine Autain reflète une incompréhension du désir masculin et des rapports entre les sexes. La volonté et la libido masculine sont deux choses différentes : tout le problème est là. Ce ne sont pas seulement les femmes qui attendent le prince charmant. Le prince charmant lui-même attend le déclic engendré par le désir. Un désir dont la perception est irrépressible, même s’il doit se soumettre aux contraintes extérieures.

En abordant le désir masculin, nous approchons le plus grand tabou social, à savoir l’érection masculine. L’art a surmonté depuis des siècles l’interdit de la nudité féminine et masculine, mais l’érection masculine reste prohibée (en dehors des salles de garde de médecine). Or, l’origine du monde ne se trouve pas seulement où Courbet l’a montrée, mais aussi dans l’érection masculine, indispensable non seulement à la reproduction, mais aussi au plaisir et à la séduction.

Si le désir masculin se manifeste de cette manière, il ne résulte pas d’une volonté, mais d’un frémissement, d’un charme, d’une surprise et d’un choc. L’érection est le symbole de la puissance, mais aussi de la fragilité de l’homme, car elle est capricieuse, ne dure qu’un temps, et dépend éminemment de l’autre.

Un homme, ça s’empêche

Ce que Nata­lie Port­man oublie c’est que si elle désire s’habiller comme elle veut, ce n’est pas seulement pour exprimer son désir, mais aussi pour susciter celui de l’homme. Avec leurs robes, qui contrastent avec les tenues usuelles des festivités cinématographiques, les femmes en noir semblent avoir perdu de vue cette complémentarité des désirs. Elles veulent remplacer les risques de la séduction des hommes par la chasse aux porcs.

Le contraste dénoncé entre la passivité de la Belle au bois dormant et l’activité du Prince charmant n’est pas seulement le fruit d’une représentation traditionnelle, il exprime une différence constitutive. La femme doit attendre que l’homme la désire, lui-même attendant qu’elle suscite son désir. La négation de cette différence est une négation de la réalité. La couleur noire est celle du déni ; on ne voit rien dans le noir.

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Dit crûment, les femmes doivent exciter les hommes et ne peuvent être considérées comme coupables de le faire. Elles doivent pouvoir porter ce qu’elles veulent, comme le réclame Nata­lie Port­man. Mais elles ne peuvent reprocher aux hommes d’être excités par ce qu’elles portent et d’être traitées pour autant comme des objets. Les hommes doivent maîtriser leur excitation, sans présumer du consentement de la femme. « Un homme ça se retient » disait Camus. Telles devraient être les règles du jeu.

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psychiatre et anthropologue. Il est l'auteur de "Opération Merah" et de "Lacan l'insondable".

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