Je sais gré à l’ami Roland Jaccard de nous rendre compte chaque semaine, ou presque, du spectacle, au sens quasi-debordien du terme, qu’offre l’émission de Ruquier. Ça nous dispense d’une séance de pugilat soporifique sponsorisée par l’argent de la redevance. D’ordinaire, je m’en tiens à la jurisprudence Timsit : regarder la télé, c’est chiant, mais quand on l’allume, c’est pire ! Samedi, c’est donc sans grande illusion que je me suis vautré devant le poste pour scruter l’accueil réservé à Natacha Polony dans l’émission où elle officiait jusqu’à l’an dernier. Comme les meilleures pièces d’Ionesco, la conversation entre Polony d’un côté, Caron et Salamé de l’autre, ne saurait être restituée que par une mise en scène ultra-sobre.
Léa Salamé : « Que pense vraiment Natacha Polony ? », « vous surfez sur la vague de la réaction », « êtes vous toujours sincère dans vos emportements », « où vous situez-vous ? » , « vous dites-vous toujours réactionnaire de gauche » ? « Qu’est-ce qui vous différencie du Front national ? », « Puisqu’il n’y a pas d’héritier à Chevènement, ceux qui sont le plus proches idéologiquement de vous sont Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen »
(didascalie n°1 : tu charries un peu Léa, d’une il n’est pas très courtois d’enterrer l’héritage intellectuel de Chevènement, que Polony soutint activement au début des années 2000. De deux tu comptes de vrais chevènementistes parmi tes amis, dont Julien Landfried, dont l’intransigeance républicaine n’a rien à envier à celle de Natacha Polony. Et puis, à quoi bon rabattre son anarcho-conversatisme tendance décroissant sur un clivage droite/gauche hors d’âge ?)
Aymeric Caron (piqué par le voussoiement polonesque) : « vous partagez une grande partie de la pensée zemmourienne : repli sur soi, fermeture des frontières, rejet des idées sociétales progressistes », « dès que quelqu’un est en désaccord avec votre pensée, vous lui adressez des attaques ad hominem »
(didascalie n°2 : la paille, la poutre, ça te dit quelque chose ?)
S’ensuit une leçon d’histoire-géographie politique que l’ancienne professeur de lettres adresse aux deux chroniqueurs : mais oui, elle adhère à la « la philosophie des Lumières en ce qu’elle a d’émancipatrice », eh non elle ne cautionne pas le Front national, remettons les choses dans l’ordre, c’est « Florian Philippot qui a pompé ce corpus idéologique » républicain.
Aymeric Caron : « vous dites que les sociétés multiculturelles sont plus dangereuses que les autres, ce qui est faux », « c’est « reprendre la propagande du Front national »
(didascalie n°3 : suivant la même logique, défendre les sociétés multiculturelles, c’est regretter le Saint Empire, l’Autriche-Hongrie et l’Empire ottoman. Réac, toi-même !)
Avec la hargne du roquet mal luné, Caron dissèque les chiffres de la condition carcérale, histoire d’asticoter Polony sur un micro-détail de son recueil de chroniques.
Aymeric Caron : « je mets le doigt sur vos mensonges et vous ne vous en excusez même pas », « arrêtez de mentir ! »
(didascalie n°4 : ça y est, le chien est lâché ! La bave aux lèvres, il s’enfonce dans ses comptes d’apothicaire et interrompt systématiquement son adversaire. Pour reprendre un mot chéri du procureur Caron, le ton montant, on dépasse le stade de la stigmatisation, c’est carrément une crucifixion.)
Sans se départir de son calme, la journaliste du Figaro oppose des arguments à la logorrhée de Caron. Gêné par les bris d’assiette, Laurent Ruquier tente de temporiser. Le torchon s’enflamme au milieu de l’ancien couple cathodique, jadis réuni par la seule grâce de la production. Toujours stoïque, Natacha Polony dénonce la « mauvaise foi intellectuelle » de son ex-mauvais camarade, mais je crains qu’elle ne prononce un mot de trop…
Tout bien réfléchi, je comprends la haine rabique du sinistre Caron : deux ans durant, il a dû s’infliger la compagnie hebdomadaire d’une consœur infiniment plus subtile, intelligente et talentueuse que cet ancien speaker de chaînes info. Ouf, voilà l’émission achevée, le rideau se lève. Tant mieux, on était déjà couché !
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