Avec le Covid-19, comme hier avec la crise financière, les experts précautionnistes nous emmènent dans le mur. La pensée de Nassim Nicholas Taleb nous aide à comprendre comment l’aversion au risque, désormais principe de base du progressisme, laisse nos sociétés à la merci de l’État paternaliste et du Big Brother de la Silicon Valley.
« Ceux qui essaient de nous aider sont souvent ceux qui nous font le plus mal. » Au regard des efforts historiques que produisent nos gouvernements pour nous protéger du Covid, cet axiome talébien prend un relief particulier. Tout ce bien qu’on nous veut a des parfums d’autoritarisme qu’il semble donc légitime de vouloir explorer en sa compagnie. Les concepts de Nassim Nicholas Taleb fournissent en effet une grille de lecture originale et pertinente de la crise actuelle. Un type qui vous explique qu’il y a statistiquement plus de piétons tués parmi ceux qui traversent gentiment dans les clous que chez ceux qui les ignorent mérite qu’on s’intéresse à ses idées.
Pour Nassim Nicholas Taleb, obnubilés par la prévention de tous les risques, même minimes, nous nous exposons à des cataclysmes – des cygnes noirs : la crise des subprimes en 2008 ; en 2020 le Covid et ses répercussions inouïes, sérieuses menaces pour nos libertés démocratiques
Spécialiste des probabilités – déformation professionnelle, au restaurant il choisit ses plats au hasard –, c’est lui qui a popularisé la notion de « cygne noir ». Échappant justement à la prévision probabiliste, ces crises rares se révèlent de nature à bouleverser l’ordre du monde – et on peut sans barguigner affirmer que celle du Covid fait partie de la famille des Anatidae sombres. Depuis, ce professeur d’ingénierie du risque à l’institut polytechnique de New York a travaillé sur notre rapport à l’aléa et mis en évidence ce principe central du progressisme : l’aversion au risque. Pour ceux qui en douteraient, relire la Constitution française et son principe de précaution (intégré via la Charte de l’environnement en 2015). Ce dernier demeure incompatible avec l’un des traits fondamentaux de l’évolution des sociétés humaines : le principe essai/erreur. Au nom de l’aversion très récente que nous éprouvons pour les conséquences désagréables de l’erreur, nous mettons en cause la légitimité même de l’essai. Rétroactivement, ce principe aurait empêché Clément Ader de monter dans son avion – d’ailleurs les écolos se sont mis en tête de nous en faire descendre. Taleb décrit parfaitement notre préférence désormais établie pour « des gains faibles, mais visibles », payés au prix d’effets différés, graves, irréversibles, mais qu’on s’attache à rendre invisibles – les mouvements migratoires entre l’Afrique et l’Europe offrant une assez bonne illustration de ce jeu de dupes. Plus récemment, à l’occasion du lock-out de l’Éducation nationale de mars à septembre, combien de jeunes gens ont perdu tout espoir de faire des études ? Ces « décrocheurs » malgré eux paieront pendant cinquante ans un confinement qui ne visait nullement à les protéger, mais à épargner leurs grands-parents. Curieuse société qui choisit de sacrifier froidement son avenir afin de sauver ses anciens, sans d’ailleurs y parvenir – tous ces Ehpad confinés à mort ! L’assouplissement quotidien de la doctrine relative à la fermeture des classes en cas de Covid démontre bien que l’on était allé trop loin, mais les dégâts demeurent irrémédiables. Dans un autre registre, on ne se soucie guère non plus des enfants non conçus cet été en raison de la fermeture administrative des boîtes de nuit. Des géniteurs potentiels se sont heurtés à la porte close du Macumba 2000 du Crotoy, et c’est un drame silencieux autant que méprisé.
Prétendre éviter tous les dangers, même les plus infimes, conduit des organisations apparemment stables à faire preuve d’une grande fragilité au moment où une imprévisible catastrophe d’ampleur s’abat sur elles. Une cocotte-minute ne montre aucun signe de faiblesse jusqu’à ce qu’elle explose. Toute ressemblance avec l’époque que nous vivons n’a, bien sûr, rien de fortuit. Inutile de préciser que la pensée de Taleb suscite un enthousiasme mesuré chez les Bisounours. L’idée que des petites épreuves puissent endurcir – des individus, des communautés – et qu’elles riment souvent avec progrès leur donne envie de se réfugier dans un safe space en pignant. Pourtant, à l’instar du Titanic, cité par Taleb, des erreurs de conception initiales ont permis de modifier l’architecture des paquebots et d’épargner des vies futures. Ces dernières semaines en offrent une autre démonstration. Le stress de la première vague de Covid a permis d’améliorer la prise en charge des patients en diminuant leur séjour en réanimation de 21 à 12 jours ; un respirateur artificiel open source et dix fois moins cher a même été développé en un temps record. D’une adversité en mars, sortent ainsi des innovations bénéfiques aux patients de septembre qui mourront en moins grand nombre.
Tel David Vincent, cherchant un antonyme à la fragilité qu’il ne trouva pas, notre professeur conceptualisa la notion d’« antifragilité », ce statut acquis par les hommes ou les institutions non seulement à même de résister aux crises, mais d’en tirer profit. Sur ce plan, nos sociétés total-progressistes recèlent tous les symptômes d’une grande fragilité. Leur stabilité apparente repose sur des institutions elles-mêmes dépendantes d’un système économique hypercomplexe. Or, chacune de ses composantes ne sortira pas indemne des bouleversements en cours. Celles dont le sort est intimement lié au tourisme de masse se montrent par exemple plus fragiles que celles dont l’activité tire profit de la distanciation sociale. Netflix fait beaucoup mieux que survivre au Covid, il en tire – pour l’instant – un spectaculaire profit et démontre de ce fait son antifragilité. Et si beaucoup d’éléments familiers de nos vies – le travail, les déplacements, la vie sociale et économique – en sortent chamboulés, l’ensemble de nos systèmes démocratiques pourrait alors s’en trouver menacé.
Mais il n’y a pas que Netflix pour illustrer l’antifragilité chère à Taleb. Par les risques initiaux qu’ils ont su prendre ou simplement par pure affinité hasardeuse avec le monde post-Covid, Amazon et les autres GAFAM sortent considérablement renforcés de l’instauration d’une distanciation mondiale. Le contrôle que ces géants exerçaient sur nos vies paraissait déjà problématique avant le coronavirus. Leur antifragilité n’a fait qu’accroître notre addiction à ces entités étrangères et aux moyens supérieurs à ceux de la plupart des nations. Notre souveraineté comme nos libertés individuelles apparaissent plus menacées que jamais par ces relais bienveillants qui épient nos faits et gestes barrières. Paradoxe apparent, les gouvernements les plus progressistes de la planète (Espagne, France) se tirent la bourre avec la dictature chinoise pour mieux asseoir leur contrôle. Légitimé par le Covid, le gouvernement total-capitaliste de Xi Jinping a mis en place un contrôle de sa population digne des films de science-fiction les plus angoissants. Aiguillonnés par les BATX (les GAFAM chinois), Google, Amazon, sans oublier Emmanuel Macron et Pedro Sanchez, veulent eux aussi nous « aider ». Méfiance. Mais au moins les ogres du web ont-ils rendu les services attendus par leurs utilisateurs. Ce qui n’est pas le cas d’un autre monstre français : notre bureaucratie.
Rappelons rapidement sa performance : 11 % du PIB pour la santé ; en mars 2020 pourtant, pas de masques ; pas de tests ; peu de places en réanimation ; aucune coordination avec les cliniques privées ; un organigramme de l’ARS inspiré d’un puzzle de 1 000 pièces. Bilan : 30 000 morts (l’un des plus mauvais du G7, à peine mieux que l’horrible Trump-qui-est-un-fou-dangereux) ; aucune remise en cause bien sûr du « meilleur système sanitaire au monde ». Non, un « Grenelle », des primes et des moyens supplémentaires. Comme Amazon, mais malgré un échec cuisant, la bureaucratie hospitalière française sort dopée par la crise du Covid. Une remarquable leçon d’antifragilité, hélas à nos dépens. La différence se situe au niveau de la prise de risque, l’administration n’en prenant jamais pour elle-même. Elle préfère les faire courir aux autres, c’est mieux (à toi qui cherchais des masques en mars par exemple). Ses PDF de 40 pages sur la façon de placer des élèves dans une classe, ce fut sa façon à elle d’innover pendant la crise.
Sa volonté de tout régenter (la rue, le bureau, nos déplacements, etc.) ne semble pas moins toxique pour nos libertés que celle de Facebook. Pas un jour sans une nouvelle règle ou une exception à celle de la veille – mais, foin d’inquiétude complotiste, c’est pour aider. Ça continue donc à phosphorer fort et avec gourmandise du côté des manches de lustrine, tous ces malfaisants du quotidien qui ne perdront jamais un jour de salaire, tout en ruinant les autres ou l’avenir de leurs enfants.
Pris entre le marteau de la Silicon Valley – qui veut lire jusqu’à nos pensées – et l’enclume d’une administration passée en quelques jours en mode Ausweis, il ne nous reste plus qu’à nous faire traiter de paranoïaque quand on s’inquiète du caractère totalitaire d’un tel sandwich. Une majorité bêlante ne semble pas remettre en cause la légitimité des hélicoptères qui tournaient la nuit au-dessus de Marennes-Oléron et braquaient un projecteur sur les bassins ostréicoles en quête de contrevenants au confinement. Aucun régime totalitaire n’a toutefois dans le passé déployé autant de moyens pour traquer des promeneurs.
La Chine a d’ailleurs rapidement proposé son « aide » au reste de la planète. Il ne nous manque désormais plus qu’un coup de main du sultan Erdogan ou des salafistes pour être totalement rassurés. Le Covid pourrait ne pas être un cygne noir, mais le leader d’une escadrille de volatiles très inquiétants.