La NASA a besoin d’argent. N’ayant plus à conduire des missions spatiales dignes de ce nom, et pour justifier ses budgets, elle en est réduite à attirer le chaland par des petites opérations de communication. Alors elle vend du rêve. Annonce à grand son de trompe de la découverte d’une planète « habitable » et « semblable » à la Terre dans notre galaxie. Immédiatement, l’info-sphère s’est enflammée, télévisions, journaux, sites Web, réseaux ont répercuté la grande nouvelle. D’« habitable » on est passé sans barguigner à « habitée » en accompagnant le propos d’une photographie de la grande sœur. En oubliant souvent de préciser qu’il s’agissait d’une vue d’artiste. L’habituelle cohorte des allumés, amis des petits hommes verts, est sortie de sa léthargie estivale pour nous asséner, qu’« ils » allaient arriver, qu’ils étaient déjà venus, qu’ils étaient beaucoup plus intelligents que nous et qu’ils les avaient choisis pour communiquer. Jusqu’à notre cher Jean-Claude Bourret, toujours vivant, toujours spécialiste des ovnis. Il n’a pas changé.
Cela n’a pas rebuté non plus la presse sérieuse. Regardons ce qu’en disent Les Échos, d’habitude plus austères : « Elle se situe à la même distance de son étoile que la Terre du Soleil. Il pourrait ainsi être possible d’y trouver de l’eau à l’état liquide, ce qui permettrait l’existence de la vie telle que nous la connaissons. » Cette distance implique simplement que s’il y avait de l’eau, elle ne s’évaporerait pas. Mais cette présence n’est pas avérée et n’a rien d’inéluctable. Chez nous, la présence massive d’eau liquide est un événement aléatoire, dont on ne connaît toujours pas l’origine.
« Située à 1400 années-lumière de la Terre, cette exoplanète baptisée Kepler 452b, orbite une étoile en 385 jours dont les caractéristiques sont très similaires à celles du Soleil. » 385 jours dites donc, alors que nous c’est 365. Ce n’est pas tombé loin ! Mais des jours terrestres ou des jours Képlériens ? Ah ça, on n’en sait rien. Rien de la rotation pourtant indispensable à l’apparition et au développement de la vie. Péremptoire, le journal poursuit : « Kepler a de grandes chances d’être rocheuse avec une atmosphère épaisse et une grande quantité d’eau ». Trois suppositions gratuites en une phrase. La recherche et la découverte d’exo-planètes ne se fait pas par observation directe, mais par déduction à partir des conséquences sur leur étoile. La seule chose que l’on sait, c’est sa taille et la distance qui la sépare de son soleil. Qu’elle soit rocheuse, qu’elle dispose d’une atmosphère et qu’il y ait de l’eau, ce sont de pures conjectures. Mais on va quand même la proclamer « habitable » en escomptant bien, flattant l’imagination, que par un glissement sémantique on la pensera « habitée ». Et Les Échos de saluer « un nouveau pas dans la quête pour trouver une sœur jumelle à notre planète dans l’univers ». La belle affaire ! Située à 1400 années-lumière, si nous décidions d’y envoyer un vaisseau, il faudrait 30 millions d’années avec nos moyens actuels. Je crains que cela pose un problème de provisions de bouche pour les vaillants astronautes. Et même si nous parvenions à approcher la vitesse de la lumière malgré toutes les embûches relevées par Einstein, l’aller-retour prendrait quand même un peu plus de 3000 ans. Trouver une jumelle nous fera une belle jambe…
Cette disposition à croire que la vie intelligente existe ailleurs dans notre univers et que nous finirons par entrer en contact avec elle est très partagée. Parce qu’elle nous fait rêver. Amateur de littérature de science-fiction, j’avais une prédilection pour le sous-genre « space opera » qui, d’Isaac Asimov à Dan Simmons en passant par Franck Herbert, nous promenait de galaxies en galaxies. Mais je sais bien que nous n’irons nulle part. Et qu’il n’y a personne. Enrico Fermi, avec son paradoxe, a planté le premier clou dans le cercueil de nos espoirs. Notre étoile étant une des plus jeunes de la galaxie, il disait : « S’il y avait des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient être déjà chez nous. Où sont-ils donc ? » Pour répondre, il faut s’en remettre à une réalité incontournable : « La vie a si peu de chance d’apparaître qu’un univers de la taille du nôtre est nécessaire pour qu’elle ait une chance de se produire une fois. » Sur quoi s’appuie cette triste proposition qui nous renvoie à notre solitude ?
Sur le fait que notre univers, tel que nous le connaissons est un système complexe imprévisible. Il y a bien quelques lois, mais son état est dû au hasard. Et nous, petite espèce terrestre, le fruit d’une succession d’événements aléatoires d’une redoutable complexité. A commencer par ce nuage interstellaire hétérogène qui, en se condensant, a donné notre soleil accompagné de ses huit planètes principales. Système solaire qui, si une seule des millions de variables du processus avait été différente ne serait pas le même.
Jouons au loto de la vie : la Terre a tiré le premier bon numéro, celui de la distance par rapport au soleil. Le hasard. Le second est l’existence de la lune. Probablement à la suite d’une formidable collision avec la Terre, le hasard encore. Ce satellite a stabilisé par effet de marée la position de l’axe de rotation de celle-ci sur elle-même. Ce qui assure, par le jeu des saisons, la clémence indispensable des conditions climatiques. Le troisième est celui de la présence dans le système solaire de géantes gazeuses comme Jupiter et Saturne. Le hasard toujours. Par effet de gravitation, elles ont nettoyé le système solaire d’une grande partie de la caillasse pouvant bombarder les planètes. Grace à ces deux gros aspirateurs, la terre a été frappée en moyenne tous les cent millions d’années par des astéroïdes massifs (comme celui qui fit disparaître les dinosaures). Sinon cela aurait été tous les cent mille ans ! Et puis ensuite, il y a l’eau. Dont on ne connaît pas l’origine et dont on ne sait comment elle a été conservée. Personne ne peut dire qu’une planète identique à la Terre se doterait forcément d’eau liquide. Il y a aussi, par exemple, l’indispensable méthionine acide aminé entrant dans la constitution du vivant. Cette molécule, que l’on est parvenu à synthétiser, exige pour cela l’alternance de périodes humides et de périodes sèches. Merci la lune pour le phénomène des marées. Et puis il y a le fait que ces acides aminés doivent se combiner avec les glucides, comme un boulon et son écrou. Par hasard (probablement un événement venu de l’espace), tous les acides aminés sont de forme gauche et les glucides de forme droite. Sans cela, pas de développement de la vie. Profane, je vais en rester là de mes exemples, la description de tous les événements aléatoires qui ont permis l’apparition de la vie serait interminable et trop compliquée pour moi. J’en citerai seulement quelques-uns : la place du soleil dans la galaxie, le champ magnétique, la couche d’ozone, la glaciation Varanger, la tectonique des plaques…
Mais après l’apparition de cette vie, il y a eu son développement. Pendant deux milliards d’années elle s’est limitée à des bactéries. Son évolution par la suite, comme Darwin en a eu l’intuition, s’est déroulée comme un processus sans but et sans morale. Marqué lui aussi par le hasard. Changements climatiques, extinctions massives, dérive des continents modifiant chaque fois la pression sélective, n’ont pas « abouti » à l’être humain mais ont permis son émergence. L’intelligence n’étant qu’un caractère de notre chétive et improbable espèce. Et la partie est loin d’être terminée puisqu’il reste à la Terre cinq milliards d’années…
Alors, lorsque l’on joue au loto de la vie, si l’on veut gagner, il faut tirer beaucoup de numéros. Bénéficier de beaucoup d’occurrences aléatoires. Admettons, alors que c’est évidemment beaucoup plus, qu’il faille tirer 12 numéros. On aurait alors une chance sur 1000 milliards d’avoir la bonne combinaison. Ce qui correspond au nombre probable de planètes dans notre galaxie. Mais les autres, celles qui sont si loin ? Et celles que bornés par l’horizon cosmologique nous ne verrons jamais ? Il suffit que les numéros du loto, du code de la vie, passent à 24, cela englobe aussi les 1000 milliards de galaxies. Une chance sur 1 million de milliards.
Nous sommes donc tout seuls dans l’univers. Et les opérations de communication de la NASA sont de la fumisterie.
Les croyants, que cette présentation peut arranger, puisqu’elle relève le caractère unique de la vie sur Terre, vont me dire que les événements que je présente comme aléatoires ne sont justement pas survenus par hasard. Et qu’ils sont l’œuvre d’un créateur. S’agissant de la foi, n’étant pas équipé pour le débat, je me contenterai de répondre que dans ce cas, pour quelqu’un d’omnipotent, il s’est quand même drôlement compliqué l’existence.
Et à ceux qui reprenant la réplique de Gabin dans Le jour se lève me diraient « dans ce cas à quoi sert le mot espoir ? », je serai contraint de répondre : « A rien. »
*Photo : N.A.S.A/SIPA/1507241101
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