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Napoléon superstar

Napoléon vu par Abel Gance, plus de 7 heures de spectacle !


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Albert Dieudonné en Napoléon Bonaparte dans le film d'Abel Gance, 1927. © Cinémathèque française/Netflix

Depuis que le cinéma existe, les réalisateurs redonnent vie à l’Empereur. Avec ou sans talent, ils déploient des moyens titanesques pour restituer son épopée. L’évènement, ce mois-ci, est la résurrection du chef-d’œuvre d’Abel Gance (1927) : enfin restauré, il est projeté en ciné-concert avec une composition de Simon Cloquet-Lafollye.


Chu dans nos salles obscures au mois de novembre, le Napoléon de Ridley Scott est désormais monté au Ciel, disponible en cabine sur les vols long-courriers d’Air France : l’Empereur, du décollage à l’atterrissage, ou de l’ascension à la chute. Cette apothéose de l’Aigle ne saurait éclipser la daube où, dans le rôle-titre, un Joaquin Phoenix impavide, constipé, vieilli avant l’heure, en pince pour Joséphine/Vanessa Kirby, du siège de Toulon jusqu’au châlit de Sainte-Hélène.

Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon, ne mâche pas ses mots pour ironiser sur ce pataquès : « On peut s’éloigner de la véracité, mais il faut au moins travailler sur la vraisemblance. La grande erreur ? L’ambiance ! Napoléon giflant sa Joséphine en public, ça n’a pas de sens. La seule bataille réussie dans le film, c’est celle des cuisses de poulet qu’ils se lancent à la figure. Il n’y a eu aucun travail pour respecter le comportement – parfaitement connu – des personnages de l’époque. Joséphine de Beauharnais était une grande aristocrate de l’Ancien Régime, d’une distinction absolue. Jamais elle n’aurait écarté les jambes en disant : “Tout ce que vous verrez vous appartient. On ne se mettait pas la main autour du cou. L’Empereur ne marchait pas à quatre pattes devant ses domestiques pour aller trousser sa femme en poussant des cris de cochon. Pardonnez-moi l’expression, mais Joséphine n’était pas une chaude : elle avait été totalement traumatisée par son emprisonnement sous la Terreur – ce qui, probablement, a provoqué sa stérilité»

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Pour la vraisemblance, le contre-exemple existe : Guerre et Paix, film à la réalisation duquel s’est épuisé, de 1962 à 1966, l’acteur et cinéaste soviétique Sergueï Bondartchouk, endossant le rôle principal sous les traits du personnage de Pierre Bezoukhov, double de Tolstoï en quelque sorte. Cette adaptation du roman-fleuve a convoqué quelque 14 000 figurants, conscrits de l’Armée rouge gratuits et corvéables. « Sur les sept batailles décrites dans le roman, seules quatre furent retenues. Dont Austerlitz, Borodino et la retraite de la Grande Armée mais, ajoute Thierry Lentz, qui n’a pas lu le livre en retrouve l’esprit dans ce film fabuleux ! » Sous les auspices de Dino De Laurentiis (lequel avait produit le Guerre et Paix de King Vidor en 1956), Bondartchouk tourne ensuite un Waterloo titanesque – avec Orson Welles campant Louis XVIII et Christopher Plummer Wellington. L’échec du film aux États-Unis, à sa sortie en 1970, a porté un coup fatal au projet d’un Napoléon sous étendard MGM, que méditait Stanley Kubrick depuis 1968.

Si, de Charles Boyer (Marie Walewska) à Patrice Chéreau (Adieu Bonaparte) en passant par Sacha Guitry (Napoléon) dans la peau de Talleyrand, le mythe de l’Empereur a partie liée avec le Septième Art, Abel Gance (1889-1981) incarne la quintessence de cette filiation. C’est lors d’une soirée de gala à l’Opéra Garnier, le 7 avril 1927, qu’a été projeté son muet de près de quatre heures, accompagné d’une musique signée Arthur Honegger, combinant partition originale et pièces du répertoire. Pas moins de vingt-deux versions différentes du film ont été exploitées par la suite, mais l’avènement du parlant, en 1929, a enterré ce chef-d’œuvre. Seul Henri Langlois, le fondateur de la Cinémathèque française, en a compris l’importance et a sauvegardé les copies nitrate, espérant reconstruire la « grande version ».

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Mais le temps a désagrégé la saga jusqu’à la décision, en 2015, de planifier, sous l’égide du CNC, la restauration numérique de ce film-archipel. Là encore, Thierry Lentz a été à la manœuvre, apportant, outre son expertise d’historien, une subvention de la Fondation Napoléon. Résultat de ce travail de longue haleine : « Napoléon vu par Abel Gance ». Pour Thierry Lentz, le clou de cette résurrection est le nouvel accompagnement musical, dû au compositeur Simon Cloquet-Lafollye, qui rythme ces presque sept heures de projection : « Sur le plan technique, c’est extraordinaire. Par exemple, la musique dynamise superbement l’interminable bataille de boules de neige du début. L’idée géniale a été d’unifier dans un flux continu ces morceaux puisés dans le répertoire classique. » Autant dire combien sont attendus les deux ciné-concerts (à guichet fermé) des 4 et 5 juillet à La Seine musicale de Boulogne-Billancourt. Le chef Frank Strobel sera au pupitre et, dans la fosse, rien de moins que l’Orchestre national de France, l’Orchestre philharmonique et le Chœur de Radio France, qui déclineront les deux parties (respectivement 3 h 40 et 3 h 25 !) de ce « Napoléon vu par… ».

Un superbe ouvrage collectif abondamment illustré retrace, en parallèle, l’histoire mouvementée de ce film et l’aventure de sa restauration : hommage déclaré à cet autre empereur, Gance, conquérant du cinéma et démiurge de ce faux biopic dont le jeune Bonaparte (Albert Dieudonné), bien plus que l’Aigle en tricorne, campe la figure prométhéenne. Autre figure, séquence mythique, quand Antonin Artaud rejoue la composition de la toile de David La Mort de Marat« Le film déroulera une sorte de chemin de feu », promettait Gance. Comme l’observe Thierry Lentz dans son érudite contribution : « Abel Gance connaissait son Napoléon et sa Révolution sur le bout des doigts. À gauche, on attaqua le cinéaste avec virulence, mettant en face deux idéologies qui s’affrontent encore aujourd’hui. L’œuvre fut suspectée, avant même sa présentation publique, d’être “réactionnaire”. » Voilà, conclut l’historien, qui « ne pèse pas lourd face au chef-d’œuvre justement élevé au rang de monument mondial du cinéma. » On ne saurait mieux dire.


À voir

« Napoléon vu par Abel Gance », ciné-concert symphonique : Orchestre national de France, Orchestre philharmonique de Radio France, Chœur de Radio France, direction Frank Strobel. La Seine musicale, première partie (3 h 40), 4 juillet 18 heures, deuxième partie (3 h 25), 5 juillet 18 heures (complet), laseinemusicale.com. Film programmé ultérieurement au Festival Radio France Occitanie Montpellier, à la Cinémathèque française, sur France Télévision et sur Netflix.


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Article extrait du Magazine Causeur




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