Accueil Édition Abonné Avril 2021 Napoléon est au-delà du bien et du mal

Napoléon est au-delà du bien et du mal

Napoléon l'incomparable


Napoléon est au-delà du bien et du mal
La Bataille de Wagram, Horace Vernet, 1809 © Bridgeman Images/Leemage

Napoléon est la synthèse de l’inhumain et du surhumain. On peut l’admirer ou le haïr, on peut le juger à l’aune de la morale commune. Son histoire restera à tout jamais une éternelle protestation contre les sots préjugés démocratiques d’égalité et d’humanité. Pas étonnant qu’il passe mal au XXIe siècle.


L’irruption de Napoléon dans l’Histoire est un événement si singulier que l’on peut à bon droit douter des plates indications de l’état civil : « Né à Ajaccio le 15 août 1769. » N’était-il pas plutôt brutalement tombé, comme Cyrano, de la lune, les yeux encore « tout remplis de poudre d’astres » et quelques « cheveux de comète » sur l’uniforme ? La supposition n’est pas absurde. La comète qui traversa le ciel pendant l’été 1811 ne fut-elle pas immédiatement baptisée du nom de l’empereur dont le pouvoir paraissait à ce moment indestructible ? Les Russes la virent aussi passer quelques mois plus tard dans le ciel de Moscou avec « sa lumière blanche et sa longue chevelure relevée au bout », annonçant ici « horreurs et fin du monde ». Rien n’est incroyable dans l’histoire de Napoléon, car tout l’est.

Stendhal lui-même, qui pourtant vit le grand homme en chair et en os, en témoigne lorsqu’il écrit dans La Chartreuse de Parme : « Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur. » S’il n’était pas tombé du firmament, surgissait-il de la profondeur des siècles enfuis ? De très sérieux historiens le pensèrent : Edgar Quinet le disait contemporain de Dante, Hippolyte Taine grand survivant du XVe siècle, portant avec lui l’esprit « des aventures politiques et des usurpations heureuses » de la Renaissance italienne.

Napoléon, songe ou cauchemar?

Quelques contemporains se demandèrent, après coup, s’ils n’avaient pas rêvé les événements, songe ou cauchemar – au choix ? En 1815, il y avait de quoi se sentir déboussolé. Une chose est certaine : Napoléon ne peut avoir été le fruit de ce siècle sec par excellence que fut le XVIIIe, si épris de raison, si rétif au merveilleux, si pacifique, si tourné vers le bonheur et les occupations privées, en un mot si bourgeois. Faut-il dès lors voir en Napoléon un pur anachronisme, l’ultime témoin d’un monde déjà disparu ou, avec Nietzsche, « une dernière indication de l’autre voie » et peut-être le dernier homme, « unique et tardif si jamais il en fut » ?

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Comment, non pas raconter, mais rendre compte d’une histoire si étrange ? On ne peut comprendre Napoléon sans séparer l’homme et l’œuvre. Il ne s’agit pas de minorer l’importance de l’œuvre. Elle a dessiné le cadre dans lequel vivent les Français depuis maintenant deux siècles, et influé, par le Code civil, sur le destin des Européens. Mais, qu’il s’agisse de la rationalisation de l’État ou de la création d’une administration forte, de la redéfinition de la place du religieux dans la société ou de l’égalité de tous devant la loi, ces évolutions ne se trouvaient-elles pas en germe dans les idées du siècle ? Napoléon, si étranger lui-même à l’esprit de son époque, en fut l’exécuteur testamentaire génial.

Il y a, au plus profond de cet homme incomparable – au sens littéral du mot – quelque chose qui échappe à l’investigation


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Avril 2021 – Causeur #89

Article extrait du Magazine Causeur




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Patrice Gueniffey est historien, directeur d'études à l'EHSS

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