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Les Français n’aiment plus Napoléon?

Le premier empereur des Français est né il y a 250 ans


Les Français n’aiment plus Napoléon?
Reconstitution historique de la bataille d'Austerlitz en 2009 en République tchèque. © TOMAS HAJEK/ISIFA/SIPA Numéro de reportage: 00589815_000001

Le 15 août dernier marquait le 250e anniversaire de la naissance de l’Empereur, dans une indifférence regrettable.


Le 15 août dernier, c’était la Saint Napoléon. Personne ne s’en est préoccupé en dehors de quelques passionnés qui se sont scandalisés du silence officiel. C’était pourtant une date importante en cette année 2019 que le 250e anniversaire de la naissance de l’Empereur.

Napoléon, connais pas?

En France, on n’aimerait plus Napoléon? Assurément, les élites ne l’aiment plus. Pleines de leur moraline douceâtre, et soucieuses d’obéir aux injonctions de l’indigénisme communautariste, elles rendent invisible une figure qui ne cesse pourtant de fasciner le monde entier. Chez nous, il devient de bon ton de l’ignorer ou de la vilipender. Dans ce domaine, la palme de l’hypocrisie revient à Dominique de Villepin, auteur d’un ouvrage sur les 100 jours qui avait refusé comme Premier ministre la commémoration de la bataille d’Austerlitz.

Celle du contresens est pour Lionel Jospin, avec son pénible Le mal Napoléonien, ou l’austère qui se marre s’efforce pesamment de nous convaincre que l’empereur était trop méchant.

De mon côté, j’ai un petit souvenir personnel : à l’occasion d’un de mes séjours là-bas, les autorités de l’île Maurice – où j’ai quelques connaissances – m’avaient saisi de leur projet d’organiser une belle commémoration pour le bicentenaire de la bataille de Grand-Port qui s’était déroulée devant leurs côtes les 20 et le 27 août 1810, seule victoire navale de Napoléon contre les Anglais. Muflerie diplomatique, malgré ses démarches officielles, le gouvernement mauricien ne reçut même pas de réponse.

Cette attitude provoque la stupéfaction à l’étranger où ce moment de l’Histoire de France a toujours autant d’importance. Parce qu’issu de la Révolution Française, Napoléon Bonaparte est un des plus grands personnages de l’Histoire de notre pays et par conséquent de celle du monde. Mythe ou réalité, on raconte qu’il s’est publié plus d’ouvrages sur lui que ne se sont écoulés de jours depuis sa mort, ce qui nous amène aujourd’hui à plus de 72 000…

Un songe si prodigieusement rempli

Jamais on n’a vu une telle accélération de l’histoire, de tels événements, tant de bouleversements et d’effondrements dans une période aussi courte que ces 25 ans qui séparent l’ouverture des États généraux et le retour de Louis XVIII. Ecoutons Jacques Bainville, nous dire que pour Napoléon ce sera « 10 ans, quand il y en a 10 à peine qu’il a commencé à sortir de l’obscurité rien que 10 ans et ce sera déjà fini… Le temps l’a pris par l’épaule et le pousse. Les jours lui sont comptés. Ils s’écouleront avec la rapidité d’un songe si prodigieusement rempli. »

Chez Nietzsche, Napoléon avait quitté l’objectivité pour investir l’imagination, incarnant pour le philosophe « l’idéal antique en chair et en os, l’idéal noble en soi, une synthèse d’inhumain et de surhumain ». Hegel prétendit dégager la signification philosophique de la politique napoléonienne et écrivit après Iéna : « J’ai vu l’Empereur- cette âme du monde – sortir de la ville pour aller en reconnaissance ; c’est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s’étend sur le monde et le domine ». Beethoven lui consacre une symphonie. Roland Barthes, regardant le daguerréotype de Jérôme Bonaparte, le frère mort sous le Second Empire dira fasciné « je vois les yeux qui ont vu l’empereur ». Zhou Enlaï, répondant en 1970 à Malraux qui lui demandait ce qu’il pensait de la Révolution française, disait humblement : « il est trop tôt pour en parler ». Innombrables sont les exemples de cette fascination chez les plus grands esprits ! Et que dire de la passion parfois obsessionnelle massivement partagée dans le monde entier.

Mais dans la France d’aujourd’hui, chez nos élites acculturées, ou saisies par la haine de soi, il n’en est pas question, on traite « l’événement Napoléon Bonaparte » par l’ignorance et la désinvolture. Personne n’est obligé d’aimer Napoléon, on peut même le critiquer et il y a des cohortes de gens qui ne s’en privent pas. Mais cela veut dire que l’on prend l’Histoire de France à bras-le-corps, au moins. Il faut absolument regarder Henri Guillemin, toujours érudit et souvent d’une mauvaise foi réjouissante, déconstruire brillamment la mythologie bonapartiste: un régal.

Surenchère dans la haine de soi

Alors pourquoi ce silence aujourd’hui? Il n’y a pas d’autre hypothèse que celle d’une volonté de relecture de l’Histoire de France destinée à dénigrer un pays que l’on est prié de ne pas aimer. Toujours prendre les choses par le bas, par le détail, par le mensonge: Vichy c’était la France, 14-18 c’étaient les fusillés, la Révolution c’était la Terreur… et Napoléon un blanc raciste et homophobe, pourquoi pas?

On trouve malheureusement dans l’actualité les échos de cette approche frappée au coin d’une bien-pensance complètement anachronique proche de la niaiserie et motivant les initiatives les plus incongrues.

Miguel Rodriguez, élu communiste d’Aulnay sous-Bois est très contrarié. Sa collectivité vient d’entamer la réalisation d’un square et a décidé de l’appeler « square Napoléon Bonaparte », ce que notre édile juge tout à fait scandaleux. Son sang n’a fait qu’un tour et avec des arguments dont on appréciera la portée, il a saisi le tribunal administratif d’un recours en annulation de cette décision « qui peut entraîner un trouble à l’ordre public, Aulnay-sous-Bois comptant un grand nombre de personnes originaires du continent africain. La personnalité de Napoléon Bonaparte est très contestée dans ces communautés, notamment du fait qu’il a rétabli l’esclavage par décret du 20 mai 1802 ». Ah bon ? Donc les gens d’origine africaine qui habitent Aulnay-sous-Bois pourraient avoir la tentation de faire comme ceux qui à Évreux le soir de la victoire de l’Algérie à la CAN ont détruit une statue du général de Gaulle? Mesurez-vous le caractère désolant de cette démarche démagogique et clientéliste? Démarche qui insulte l’héritage d’un Parti qui autrefois ne faisait pas de différence ethnique parmi les gens qu’il défendait.

Une très haute figure, historique et populaire, délaissée

Camarade Rodriguez, il fut un temps où il était fermement conseillé au PCF, en plus des œuvres de Marx et Lénine, de lire les deux livres sur Napoléon, publiés par les Éditions du Progrès de Moscou et diffusés par la maison d’édition du parti. La biographie d’Eugène Tarlé datée de 1937 est marquée par un dogmatisme marxiste gage de survie à ce moment-là. Et puis celle d’Albert Manfred publiée en 1965 époque de la déstalinisation kroutchévienne. Chef-d’œuvre, toujours marxiste lui aussi, et qui m’a fait tomber dans la marmite de la passion pour le Corse et son aventure où j’ai passé pas mal de temps. Les Russes, soviétiques ou pas, étaient eux aussi fascinés par Napoléon et pas seulement parce qu’ils l’avaient battu. Je me rappelle ce vieil écrivain membre du Parti, réticent face à la critique de Staline et qui pour le défendre invoquait cet argument : « Oui mais, comme Napoléon, de fils de vacher Staline a fait des maréchaux ». Ce qui était parfaitement exact, mais peut-être pas suffisant pour réhabiliter le Petit Père des peuples…

Pour les jeunes lecteurs (je sais qu’il y en a) et les autres qui voudraient s’y mettre, dans la profusion des biographies, je conseillerais celle récente et brillante de Patrice Gueniffey qui permet une première plongée dans cette aventure inouïe. Après, parmi les 72 000 autres livres, chacun fera son choix. Pour ceux qui aiment le lyrisme, et l’excès, il y a L’âme de Napoléon où Léon Bloy y déploie son étrange génie et dit n’importe quoi. Un bonheur ! Enfin, et tant qu’on y est, sans nous éloigner de Napoléon, permettons-nous une petite transition avec la France d’aujourd’hui, en conseillant la lecture de deux ouvrages. Tout d’abord le 18 brumaire, à nouveau de Patrice Gueniffey où celui-ci décrit remarquablement la préparation et la réalisation du coup d’État de Bonaparte. Et ensuite celui de Karl Marx : Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte où Marx décortique celui de Napoléon III. Un coup d’Etat, celui de l’oncle, civil, juridiquement réussi et sans violence, et 54 ans plus tard un autre du neveu, militaire et particulièrement brutal. Il y a peut-être quelques leçons à en retenir pour la situation actuelle dans notre pays. Mais ceci est une autre histoire.

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