La presse vient une fois de plus de mettre en place l’artillerie lourde pour mettre en exergue une histoire épouvantable, celle de cet enfant de la banlieue nantaise martyrisé jusqu’à la mort par deux parents infâmes. Comme en écho le tintamarre a résonné sur les réseaux, assortissant comme d’habitude la clameur, de hurlements à la mort qui ne sont pas les moins bruyants.
On va avoir droit à la séquence habituelle. Haro sur les parents indignes, mépris social, mise en cause des services sociaux et des instits qui n’ont pas vu arriver la catastrophe. Plus tard, quand le procès arrivera, un lynchage médiatique en grand, des hurlements de rage si les parents ne prennent pas perpète et si la justice applique la Loi. Il se trouvera également des braillards pour demander le rétablissement de la peine de mort. Et puis au passage pour faire bonne mesure la stérilisation de ces pauvres qui se reproduisent comme des lapins alors qu’ils sont incapables d’élever leurs enfants.
Ce qu’est la protection de l’enfance
Pourquoi se gêner, dès lors qu’il s’agit de s’acheter une bonne conscience pour vraiment pas cher ? Car bien sûr, tous les « bouleversés » soudain prolixes, ceux qui composent la meute, n’ont aucune idée de ce qu’est réellement la protection de l’enfance, et la nature des problèmes qu’affrontent tous les jours les services chargés de mener cette mission pour le compte des départements? Ces assistantes sociales, ces « référents » ces éducateurs, et ces avocats, tous ceux qui tiennent le front, celui des pires misères, morale et matérielle, ceux dont on ne parle jamais si ce n’est pour les mettre en cause. Parce que c’est tellement facile.
Les départements, on vous le dit de façon récurrente, il faut les supprimer. C’est une évidence, n’est-ce pas ? Vous savez, « le millefeuille administratif, avec tous ces fonctionnaires payés à ne rien foutre », Valls nous l’a promis en 2020, fini. François Fillon nous annonce honnêtement la purge, Emmanuel Macron le conservateur régressif, plus hypocritement, c’est son registre. Mais, dites donc, cet empressement ne serait-ce pas parce que les départements, comme par hasard, avec la protection de l’enfance, ont aussi les personnes âgées et le RSA? Toutes les compétences sociales lourdes en fait. « Ça coûte trop cher tout ça, les Français les plus pauvres vivent au-dessus de leurs moyens ». C’est Schaüble qui le dit, approuvé par Moscovici. Et Vincent Peillon par exemple, qui a bien précisé que s’il devenait président de la République son premier geste serait d’aller chercher sa feuille de route chez Merkel. Alors en attendant les départements voient leurs budgets rognés, diminués, avant que Macron, Fillon, Valls nous en débarrassent et foutent leurs fonctionnaires à la porte. Il nous faut des grandes régions à l’allemande, car faire comme l’Allemagne est devenue une obsession. Il est vrai qu’eux, ils n’ont pas besoin de services de protection de l’enfance étoffés parce que justement des enfants, ils n’en font plus. Alors, ils les importent dans les conditions matérielles et morales qu’on imagine pour les réfugiés, ou bien déjà formés et diplômés aux frais de leurs pays d’origine, pour ceux du sud de l’Union.
Il est normal que l’opinion publique soit à ce point sensibilisée sur la question des violences faites aux enfants. Qui restent malheureusement massive dans une société en crise, individualiste et dure aux gens. Cette émotion est saine mais elle est dévoyée. Car les médias sont plus soucieux de faire de l’audience en agitant le grelot que d’informer réellement sur la réalité du phénomène. Et de poser les vrais problèmes et en particulier celui des moyens.
70% des dizaines de milliers de cas de violences à enfants en France sont des atteintes sexuelles, 30% des violences physiques habituelles. Violences qui ont lieu dans le huis clos familial. Et ce terrible front-là, celui de la misère ultime, qui le tient? Des gens magnifiques, dévoués, à qui on retire tous les jours des moyens. Sans que ça n’intéresse personne, c’est la partie cachée, le sous-sol, ce qu’on ne veut pas voir. On peut faire le parallèle avec le soi-disant « laxisme de la justice » vilipendé à chaque fait divers, sans que personne ne s’occupe du scandale français d’un parc de prisons indigne d’un pays comme le nôtre. Pourtant, comme la justice, la protection de l’enfance n’a pas de prix, mais elle a un coût.
Pour connaître un peu la partie judiciaire protection, les auteurs des violences étant poursuivis, et les enfants pris en charge par le département doivent être défendus par des avocats qui les représentent à l’instance. J’affirme qu’il faut avoir des nerfs solides pour prendre en charge l’innocence bafouée.
Enfants et bourreau
Le plus dur ce sont les confrontations dans le bureau des juges d’instruction entre les enfants et leur bourreau. Enfants qui sont en famille d’accueil ou en foyer, dont la vie est déjà en partie brisée et qu’il faut convaincre d’accepter d’être dans la même pièce et de décrire en face de lui ce qu’il leur a fait.
Normalement, quand ils atteignent 18 ans, ils sont majeurs et plus sous la responsabilité du département, alors beaucoup sont lâchés dans la nature. Pour quel destin ? D’autres ont de la chance, des services sociaux, qui font des pieds des mains, des acrobaties, arrivent à grappiller des ressources à droite à gauche pour les emmener un peu plus loin dans la vie.
Alors comme d’habitude avec la tragédie de Nantes, on va se passer les nerfs sur les coupables directs ou indirects que la presse désignera, on verra plein de reportages et de microtrottoirs dans le voisinage. La haine dirigée contre la mère de Fiona, va changer de cible pour les deux parents infâmes, dont on ne sait rien ni ne saura rien de leur propre misère, ce qui les a amenés à l’impensable, à l’impardonnable. Déploration, hurlements avec les loups, appels au châtiment, médias et réseaux vont s’en donner à cœur joie. Mais dans quelques jours il faudra bien retourner aux sujets importants, savoir, qui de Vincent Peillon, Benoît Hamon, ou Manuel Valls aura le privilège de se faire ridiculiser en mai prochain, si François Fillon a eu tort de dire qu’il était chrétien, et ce que devient Jean-Vincent Placé.
En attendant, puisque dans la société du spectacle, les médias font office de dealers on ne va pas se priver de sa petite dose de bonne conscience. Avec la misère des autres, c’est la meilleure. Jusqu’à la prochaine fois.
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