Impulsée par son prédécesseur, conçue par les fonctionnaires en place au ministère, les mêmes qui depuis des années ont insufflé une politique de démolition progressive de l’enseignement français, Najat Vallaud-Belkacem se charge de porter cette nouvelle réforme du collège avec une détermination et une candeur qui font peur.
Elle n’est pourtant animée que de bonnes intentions et sans doute par une sincère conviction. Lorsqu’elle déclare, interviewée par Guillaume Durand, que son intention est « de donner à tous les élèves les conditions et les clefs de la réussite pour permettre que seuls l’effort et le mérite les distinguent ensuite », on ne peut qu’être d’accord. Mais, se plaignant de la mauvaise foi de certains, n’en fait-elle pas preuve elle-même en feignant de croire que les opposants à la réforme ne contestent pas cet objectif évidemment louable mais la politique qu’elle compte mettre en œuvre pour l’atteindre ?
Les détracteurs du projet ont peut-être trop mis l’accent sur leurs critiques vis-à-vis de l’enseignement des langues vivantes ou mortes. Si pertinentes qu’elles soient, ces objections font perdre de vue le plus dangereux de la réforme : son inspiration générale. Le principe sous-jacent est qu’en multipliant les activités transversales, si possible ludiques, au détriment des savoir fondamentaux et en saupoudrant les enseignements d’heures de soutien, on va parvenir à faire réussir tous les élèves. Derrière un discours prétendument moderne et audacieux, la ministre ne propose que de vieilles recettes coûteuses qui ont déjà montré leur inefficacité et aboutissent inéluctablement à un abaissement général du niveau. L’une des principales mesures prévues est la mise en place des E.P.I. (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires) qui vont absorber avec l’accompagnement personnalisé 20% du travail des élèves. Leur objectif est, d’après le ministère, de permettre « aux élèves de comprendre le sens de leurs apprentissages en les croisant, en les contextualisant et en les utilisant pour réaliser des projets collectifs concrets ». Ces enseignements par projets, présentés comme une nouveauté mais expérimentés de longue date au lycée sous des formes légèrement différentes, a priori séduisants, posent de nombreux problèmes. L’expérience montre en effet que le profit qu’en tirent les élèves est dérisoire au regard du temps qu’ils consomment. Les compétences auxquelles ils font appel sont très disparates suivant les disciplines et souvent non adaptées au niveau de l’élève, soit parce qu’elles sont trop compliquées soit parce qu’elles sont trop simples. L’enseignement disciplinaire y est difficilement maîtrisable et il en résulte pour les élèves une formation molle et imprécise, alors que les jeunes d’aujourd’hui ont plus que jamais besoin d’être encadrés.
Protégé par le groupe, assuré d’être bien rémunéré pour un travail sans difficulté et en fait non évaluable et donc toujours noté complaisamment, l’élève ne sent pas tenu de faire de réels efforts et il n’en retient pratiquement rien. Ce qui est déjà vrai au lycée le sera davantage au collège et on peut déjà mesurer la gabegie que cela provoquera. Mais, dans le politiquement correct ambiant, on attribue au travail en groupe des élèves, comme d’ailleurs à celui des enseignants, des qualités miraculeuses auxquelles tout le monde fait semblant de croire tout en sachant qu’il est mal adapté à des élèves qui manquent de maturité et de connaissances de base solides. Quoi qu’il en soit, l’élève en échec scolaire ne trouvera pas là le moyen de s’en sortir, on l’aura artificiellement distrait et pendant ce temps privé d’une réelle formation. Une autre mesure phare est l’accompagnement personnalisé ouvert à tous les élèves que l’on pratique déjà depuis trois ans en lycée où il s’est montré coûteux et particulièrement inefficace.
Les syndicats de gauches prétendent que c’est parce les moyens alloués sont insuffisants, le ministère parce ce que ce sont les professeurs qui ne savent pas mettre à profit les quelques heures qui lui sont réservées. Tous évitent de le remettre en cause parce que cela fait partie des nouveaux tabous dont il est de mauvais goût de contester la pertinence. Pourtant, il suffit d’un peu de bon sens pour se rendre compte qu’il faudrait, pour avoir quelques chances d’être efficace, des moyens financiers et intellectuels inaccessibles.
Au lycée, ce n’est pas avec deux heures par semaine à partager entre toutes les matières, ce qui laisse au mieux par matière un groupe de 15 élèves tous les 15 jours, soit 3 minutes et 40 secondes par élève, que l’on peut sérieusement se pencher sur les difficultés particulières de chacun d’eux. Et, même si les moyens étaient deux, trois, quatre fois plus importants, cela resterait encore très insuffisant. Et, quand bien même les aurait-on, serait-on capable de comprendre le fonctionnement du cerveau de chaque élève et de trouver pour chacun d’eux un remède approprié ? Et, quand bien même, il ne resterait plus suffisamment de temps pour l’enseignement de base. Et, quand bien même arriverait-on à tout caser dans l’emploi du temps, il y aurait un perpétuel décalage entre les lacunes que l’on tenterait de combler d’un côté et celles qui apparaîtraient de l’autre côté dans la suite du programme.
On est face à une nouvelle utopie à laquelle les psychopédagogues et les prétendus experts en science de l’éducation s’accrochent éperdument pour éviter que l’on s’attaque au plus précieux de leur tabou et pourtant la principale cause de la faillite du système éducatif français, le principe du collège unique. De réforme en réforme, ils imposent aux ministres successifs une politique dont ils ont de plus en plus de mal à dissimuler le cuisant échec. Comment peut-on honnêtement croire qu’après avoir trimbalé dans un même sac des boules de pétanque et des boules de ping-pong, il suffira pour raccommoder ces dernières nécessairement abîmées de les prendre collectivement et de souffler un peu dessus ? Fondre tout le monde dans un même moule est une violence faite au genre humain. Il y a plusieurs formes d’intelligence, de talents et des personnalités diverses, c’est ce qui en fait sa grande richesse. L’intérêt général est de permettre à chacun de s ‘épanouir dans un environnement qui lui convient et de trouver son chemin. Certains ont une intelligence concrète, d’autres abstraite et entre ces eux extrêmes il y a toute une panoplie de nuances. Dans cette machine à broyer, certains élèves font des choix précoces, ce n’est pas nécessairement par manque d’ouverture d’esprit, cela est parfois l’affirmation d’une personnalité qui ne veut pas se laisser embarquer dans un paquebot qu’elle n’a pas choisi. C’est aussi souvent une forme d’auto-défense devant une épreuve que l’on ne sent pas capable, à tort ou à raison, d’affronter. Alors, la porte se ferme et plus rien ne rentre. Insister devient contre-productif. Quelle folie de croire que c’est à coup d’heures de soutien supplémentaires que l’on va régler le problème !
Cette manière de procéder conduit à une forme de harcèlement moral, particulièrement pervers car on fait croire à l’élève que l’on agit pour son bien et il se sent encore plus dévalorisé s’il n’arrive pas à en tirer profit. Pour défendre la suppression des classes européennes et bilingue, la ministre déclare qu’elle est contre ce qu’elle appelle « l’élitisme dynastique » qui, toujours selon elle, « reproduit des avantages sociaux de certains en leur offrant, toujours aux mêmes, des classes de contournement, des filières sélectives, des offres de choix qui ne sont réservés qu’à eux ». Elle se fait ici clairement la porte-parole d’une certaine gauche excessive qui devant l’impossibilité de faire suivre à certains un parcours d’excellence veut l’interdire à tous. Les classes européennes, comme les anciennes classes à option, sont ouvertes à tout élève, quelle que soit sa condition, pourvu qu’il ait le goût et les moyens de les suivre. Elles ne sont nullement réservées à une hypothétique dynastie qui n’existe que dans la tête de la ministre, à moins de considérer que les « bons élèves » constituent une caste à part que l’on doit au nom d’un égalitarisme fanatique rabaisser. C’était sans doute ce même état d’esprit qui inspirait le projet, auquel elle a apparemment renoncé, de noyer l’enseignement du grec et du latin dans un vaporeux E.P.I. intitulé « Langues et cultures de l’Antiquité ». C’est ainsi qu’en voulant la réussite pour tous que l’on va une nouvelle fois organiser, par aveuglement idéologique, l’échec pour tous.
*Image : Soleil.
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