Dépendance aux écrans. La socialiste surprend en proposant d’imposer des limites à tous les internautes français. « La rareté oblige à une certaine sagesse. Si nous savons que nous n’avons que 3 gigas à utiliser sur une semaine, nous n’allons sans doute pas les passer à mettre des commentaires haineux ou à fabriquer des fakes », argumente-t-elle.
Il fut un temps où les carrières politiques duraient 40 ans. François Mitterrand, ministre de l’Intérieur en 1954, quittait l’Élysée en 1995. Jacques Chirac, jeune député de la Corrèze en 1967, la quittait en 2007. Heureusement, à l’instar des rasoirs et des amours, les politiques sont devenus jetables. Najat Vallaud-Belkacem, éphémère figure du Parti socialiste, a disparu des radars après un long et peu transcendant passage à la tête de l’Éducation nationale (2014-2017). Désormais présidente de l’association France terre d’asile, elle vient se rappeler à notre souvenir en signant une tribune sur le site du Figaro : « Libérons-nous des écrans, rationnons internet ! »[1]
Rationnons la parole de Najat Vallaud-Belkacem
Dans son texte, Madame Vallaud-Belkacem ne voit que des aspects bénéfiques à un rationnement de l’accès à Internet : pour la santé, pour la paix dans les ménages, pour lutter contre les discriminations, contre le harcèlement, contre le réchauffement climatique. Et aussi pour le développement cognitif. Sur ce dernier point, on a envie de répondre : « parle pour toi, Najat ! ».
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Il s’agit certainement d’une conversion soudaine : ancienne ministre, elle n’avait guère freiné à l’époque la religion des Nouvelles technologies de l’information et de la communication au service de l’enseignement (NTICE), mantra au sein de son ministère. En 2016, elle faisait ainsi distribuer des tablettes et des téléphones portables auprès des collégiens, qui les ramenaient à la maison le soir. A l’époque, face à un journaliste du Monde qui manifestait quelques doutes quant à leur utilité pédagogique, la ministre répondait : « Je ne partage pas l’idée, largement répandue, selon laquelle les « digital natives » n’ont pas besoin d’être acculturés au numérique en classe au motif que ces outils, avec lesquels ils sont quasiment nés, leur seraient déjà suffisamment familiers. Etre familier d’un outil, ce n’est pas en être connaisseur. L’école a vocation à développer l’autonomie des futurs citoyens, y compris vis-à-vis des machines, et pour cela, il faut comprendre leur fonctionnement ».
Big mother is watching you
Depuis, Najat Vallaud-Belkacem s’est convertie à la frugalité numérique et a rejoint les positions des écolos hostiles à la 5G. Réseaux sociaux toxiques, pornographie en ligne… NVB se plaint elle-même de se laisser happer par les écrans tard le soir : « Je ne suis pas la dernière à utiliser les réseaux sociaux, à me dire, encore un coup d’œil, juste avant de dormir, et à me retrouver, deux heures plus tard, à commenter, à m’indigner, à sourire et à m’amuser aussi ». Il est pourtant possible de faire un usage intelligent d’Internet : consulter des revues en ligne sur Gallica, lire un article du Monde de 1967, rechercher une page de Flaubert ou Chateaubriand sur Wikisource… Il n’est pas interdit non plus de temps en temps d’éteindre son écran et de reprendre une activité normale. Anticipant les objections, l’ancienne ministre se défend de vouloir imiter la Chine : « Vous imaginez ? La Chine ! Est-ce cela que nous voulons pour nos enfants ? Mais sauf erreur de ma part, en Chine, on soigne aussi les malades, et je ne vois pas au nom de quoi cela devrait nous conduire, nous, à ne pas le faire, et à fermer tous nos hôpitaux ». Argument imparable ! Autant que de la Chine, Madame Vallaud-Belkacem semble s’inspirer des Amish, sympathiques descendants des anabaptistes qui continuent de vivre comme au XVIIIème siècle.
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Alors bien sûr, comme « on peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages », on peut aussi regretter l’Internet des années 90, les forfaits 20 heures pour cent francs et le bruit mythique de la connexion du modem en 1999.
Najat Vallaud-Belkacem appartient à une tradition politique, la gauche, qui a connu bien des turpitudes dans sa longue histoire, mais qui a toujours cru dans l’idée de progrès. Lénine disait : « Le socialisme, c’est les Soviets plus l’électricité ». Avec NVB, le socialisme, c’est l’Internet moins l’ADSL. Avec sa suggestion, l’ancienne élue de Lyon s’inscrit dans une nouvelle gauche, ascétique, moralisatrice, « mère-la-morale ». Big mother is watching you.
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[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/najat-vallaud-belkacem-liberons-nous-des-ecrans-rationnons-internet-20240318
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