Najat est-elle mortelle?


Najat est-elle mortelle?

najat vallaud christopher frank

Christopher Frank, mort prématurément en 1993, a laissé pour l’essentiel le souvenir d’un cinéaste hitchcockien qui a sublimé Valérie Kaprisky dans L’Année des méduses. On a davantage oublié qu’il fut écrivain et que ses films étaient pour la plupart des adaptations de ses romans. Mortelle, son premier texte, écrit à 25 ans, en 1967, n’eut pas cette chance, hélas ! Il s’agit une dystopie placée sous le signe d’Orwell et de Zamiatine. Nous sommes dans le monde de La Plaine, une aire goudronnée infinie, couverte de pavillons de verre identiques. Évidemment, le simple fait de coucher son histoire sur le papier, à l’instar de Winston dans 1984, fait de vous un « hérétique » appelé tôt ou tard à la « rectification », qui consiste à vous greffer sur le visage un masque éternellement souriant. C’est ce qui va arriver au narrateur, lequel, de surcroît, entretient une relation sexuelle exclusive avec sa demi-sœur nommée « Mortelle ».

Si ce court roman glacé m’est revenu à l’esprit ces temps-ci, c’est que Christopher Frank, il y a presque quarante ans, avait accordé une attention particulière à l’école, lieu et moment où les hérétiques en devenir prenaient conscience de leur hérésie.

Cette intuition donne des pages saisissantes, mais elle est surtout une préfiguration des aspects les plus pédagogistes de la réforme de Najat Vallaud-Belkacem. Dans le collège façon Mortelle, l’important n’est plus le savoir mais « le savoir-être », comme on dit du côté de la Rue de Grenelle. On est convoqué devant des « conseils de camaraderie », que NVB appelle pour sa part « les conseils de vie collégienne », si on a le malheur de s’adonner « à la compétition, qui est le plus grand péché du monde» Là, le mot clé est évidemment cette « citoyenneté » si chère à l’Éducation nationale : « On m’expliqua une fois de plus LES RÈGLES DU CITOYEN : l’homme au service de l’homme ; un bien indivisible est un bien mal acquis ; moins on est, moins on rit ; le besoin de l’un est le devoir de l’autre ; une joie non partagée est une tristesse maquillée ; etc. »

Dans le collège façon NVB, nous dit-on, « des “moments forts” seront “systématisés” : journée de la laïcité, commémorations, remise de diplômes ». Et, de fait, cela ne dépayserait aucunement le narrateur de Mortelle, qui, jouant le jeu de l’institution, peut quitter « le collège avant-dernier, nanti d’un brevet d’honneur du comité Inter-Élèves et d’un diplôme de sociabilité avec mention B. »

Mortelle, de Christopher Frank, est disponible dans la collection « Points », Éditions du Seuil.

Mortelle

Price: 56,16 €

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