La mort de Naël M. charrie derrière elle un nombre incalculable de réactions, plus ou moins heureuses
À Nanterre, le 27 juin, vers 8 heures 15, un jeune homme de 17 ans, Naël M., conduisant sans permis une Mercedes avec deux passagers, a fait l’objet d’un contrôle par deux motards de la police puis a redémarré, refusant d’obtempérer, en même temps qu’un des policiers tirait et l’atteignait à la poitrine, le chauffeur allant encastrer le véhicule sur un poteau et son décès étant constaté peu après, à 9 heures 15. Le parquet de Nanterre a ouvert deux enquêtes en flagrance, l’une pour refus d’obtempérer et tentative d’homicide sur personne dépositaire de l’autorité publique, l’autre pour homicide volontaire par personne dépositaire de l’autorité publique sur la personne de Naël M. Les trois avocats de la famille de ce dernier, dont Me Yassine Bouzrou (celui-ci s’étant illustré, si j’ose dire, dans l’affaire Adama Traoré), ont déposé pour leur part deux plaintes pour meurtre et pour faux en écritures publiques et demandent un dépaysement du dossier. Sans le moindre temps de réflexion, Jean-Luc Mélenchon, avec sa précipitation globale et outrancière habituelle, mettait en cause la police en général qui serait « incontrôlée », à partir de cette tragédie singulière dont les circonstances criminelles restent à déterminer avec précision. Tandis que, heureusement, François Ruffin ou Fabien Roussel avaient des réactions dignes et plus responsables.
« Inexplicable et inexcusable » pour le président de la République
Il était évident qu’Emmanuel Macron ne serait pas en retard d’une « émotion ». Il l’a exprimée en Conseil des ministres. En ajoutant ce qui ne signifie rigoureusement rien : « inexplicable et inexcusable ». Cela mettra à coup sûr du baume au cœur à l’infinité des sinistrés que sa faiblesse régalienne a engendrés, mais ils n’étaient pas Naël M. et la démagogie était moins porteuse ! Avec le risque de légitimer des embrasements que rigoureusement rien ne justifie. Gérald Darmanin donnait des leçons à son président en en « appelant à la vérité et au calme ».
Les réactions du show-business
Sur un autre plan, artistique et sportif, il suffisait d’être patient et on a eu droit dans la foulée à l’inévitable Omar Sy, à Kylian Mbappé, à Jules Koundé et Mike Maignan. Le premier souhaite « qu’une justice digne de ce nom honore la mémoire de cet enfant » et le deuxième, immense footballeur, mais parfois citoyen partisan, déclare « qu’il a mal à sa France. Situation inacceptable. Mes pensées pour ce petit ange parti beaucoup trop tôt ». Pour Omar Sy, relativement modéré par rapport à certaines de ses dénonciations irréfléchies, je lui propose d’attendre, comme moi, les résultats des investigations et de prendre acte de ce qui sera établi, y compris la possible implication criminelle du ou des fonctionnaires intervenants. Mais de différer son jugement le temps que les seules instances engagées officiellement l’établissent. Je lui suggère, puisqu’il parle d’honneur, de rendre hommage avec moi à la multitude des adolescents, des jeunes gens qui, dans des circonstances familiales et sociales parfois difficiles, ne conduisent pas sans permis au volant de véhicules improbables, ne refusent pas d’obtempérer (Naël M. l’avait déjà fait une fois), ne fuient pas les contrôles de police, respectent cette dernière comme elle les respecte la plupart du temps et comblent leurs parents grâce à l’éducation donnée, qui les a élevés dans tous les sens du terme. Pour Kylian Mbappé, le terme de « petit ange » qu’il utilise est adorable mais je me demande s’il est bien approprié malgré la compassion que l’on éprouve pour la famille de ce jeune homme tragiquement victime à l’issue d’un processus dans lequel il avait commencé à mettre la main.
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Je pourrais conseiller à Kylian Mbappé, comme à tant d’autres, de réfléchir à ce qu’ils vont dire ou tweeter, s’ils ont envie de nous faire connaître leur opinion sur un malheur dont ils ignorent à peu près tout sinon que Naël était de couleur. J’espère que cette similitude n’interdit pas la lucidité, l’équité, la mesure et la Justice. La couleur de peau n’est pas un gage d’innocence obligatoire. On pourrait le supposer puisque le capitaine de l’équipe de France ne s’est mobilisé que pour l’équivoque Zekler et Naël… Ce formidable footballeur aurait « mal à sa France ». Je n’ose pas croire que cette souffrance ciblée ne composerait sa France que des gens de couleur, jeunes ou non, qu’il estimerait victimes de la police. Sinon ce serait désespérant que cette indignation communautariste !
J’ai mal à ma France…
Pour ma part, sans me pousser du col – dans une indifférence à peu près générale – j’ai mal à la France. Pour toutes les victimes, quelle que soit leur couleur de peau, que la délinquance et la criminalité en accroissement multiplient. Pour tous les policiers tués ou blessés. Pour tous les malheureux que des folies imprévisibles ou des libertés sans surveillance détruisent ou massacrent. Quand le président dégrade sa fonction par des comportements ou des mots grossiers ou méprisants. Lorsque des ministres nous font honte. J’ai mal à la France quand une certaine représentation nationale remplace l’argumentation par la haine et la contradiction de l’idée par le désir de néantiser celui qui la profère.
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Lorsque, dans toute la France, de la plus infime des bourgades jusqu’à la plus grande des villes, du maire le plus modeste jusqu’à l’édile le plus éclatant, la fureur, les coups, la détestation compulsive de l’autorité détruisent des êtres et en profondeur notre démocratie. J’ai mal à la France quand des bouts de France sont interdits à la France de la loi, de l’ordre, de la morale et de la sauvegarde de la masse des honnêtes gens. Alors, non, je n’ai pas « mal à ma France ». Notre pays n’est pas à couper en tranches.
Et, demain, à la suite de la mort de Naël M., si un ou des policiers sont poursuivis et condamnés, leur victime ne deviendra pas « un petit ange » (sauf pour sa famille qui a toutes les excuses) pour autant et je me contenterai de me féliciter d’une République où la Justice est rendue, apposant sur les passions subjectives le décret d’une impartialité exemplaire.
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