C’était prévisible : la blessure du footballeur Nabil Fékir (rupture des ligaments croisés du genou droit), contractée vendredi 4 septembre lors du match amical Portugal-France et qui vaut à l’attaquant français six mois d’indisponibilité, en ravit apparemment plus d’un. Certains, en Algérie comme en France, voient là une « punition divine ». « Châtiment » infligé à celui qui, en mars, alors qu’il avait encore le choix entre la sélection algérienne et la sélection française, avait choisi d’évoluer sous le maillot de la France, le pays où il est né il y a 22 ans. Le père, algérien, avait critiqué la décision de son fils, joueur de l’Olympique lyonnais. Il lui reprochait d’avoir préféré les liens du sol aux liens du sang, ses intérêts personnels à ceux de la famille.
Imagine-t-on la douleur du conflit d’allégeance, alors, chez ce jeune homme ? Tout le poids du trauma franco-algérien pèse à cet instant sur ses épaules : il opte pour l’équipe d’Algérie et il passe pour un mauvais Français. A l’inverse, il opte pour la France et il trahit beaucoup plus encore : son père, la patrie, Dieu. Si lui n’a pas conscience de tout cela, d’autres en ont conscience à sa place et se chargent de lui rappeler, hier comme aujourd’hui, son « devoir » : tu ne trahiras point ta seule patrie, l’Algérie. Situation aussi hallucinante que malheureusement fréquente…
Seulement, comme on a peur (des attentats, d’éventuelles représailles, en gros que tout pète) on évacue, en espérant, au mieux, que ça va se tasser. Ça se tasse peut-être, mais ça ressasse beaucoup. Ça rumine et ça fermente. Pourquoi des maires, détonnant tellement avec l’esprit de générosité dont nous sommes nombreux à nous sentir animés, ne veulent-ils accueillir que des Syriens chrétiens ou yézidis dans leur commune ? Pour des raisons électorales ? C’est probable. Par racisme anti-musulman ? C’est possible. Mais sans doute aussi parce qu’ils se disent que les enfants de réfugiés musulmans, du fait de leur religion, risquent d’emboîter le pas de cette partie de la jeunesse franco-maghrébine qui rejette la France, notamment au nom de l’islam – digression non sans rapport avec ce qui précède : nous payons chèrement les décennies de renoncement face au chômage, quand il aurait fallu tout entreprendre pour la formation professionnelle et préférer la dignité du travail à la préservation des « acquis » à tout prix. Résultat : les acquis ne valent plus grand-chose et le travail fait cruellement défaut.
En mars, une partie du public du Stade de France avait sifflé Nabil Fékir, dont c’était la première apparition avec les Bleus, contre le Brésil. Alors que d’habitude, dans l’assistance, c’est une frange franco-maghrébine qui siffle le binational de l’étape (Hatem Ben Arfa lors du match France-Tunisie d’octobre 2008), ceux qui ont hué Nabil Fékir au printemps dernier voulaient « faire payer au gone (au gamin, ndlr) son choix tardif de l’équipe de France », selon Le Figaro.
Y avait-il des Franco-Maghrébins parmi ces siffleurs, dont on suppose plutôt qu’ils étaient de souche, si ce mot peut avoir un sens dans un pays de « sang mêlé » ? Cela complexifierait la donne. Et signifierait peut-être qu’un certain nombre de ceux-là, s’estimant pour le coup pleinement Français, en ont assez d’être tenus en laisse par un passé qui par définition les oblige plus qu’il ne les libère. En tous cas, nombreux sont ceux à vouloir s’extraire de l’étau du double procès qui leur est fait – celui de la trahison des origines et celui de la trahison de la France – sans devoir rien renier et sans se priver de quoi que ce soit dans leur vie d’Occidentaux. Sûrement Nabil Fékir, qui aurait bloqué l’accès des adresses IP algériennes à sa page Facebook, a-t-il aujourd’hui besoin du soutien des siens, dans sa ville de Vaulx-en-Velin.
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00705911_000001.
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