L’agitation politicienne de ces dernières semaines a quelque chose de pathétique : le défilé de mode des candidats à l’élection présidentielle de mai 2012 pourrait nous faire croire que cette échéance électorale va se dérouler dans un contexte préoccupant, certes, mais où la situation serait plus ou moins sous contrôle.
Or, rien n’est moins sûr. La crise de l’euro n’en finit pas de rebondir, malgré les bricolages d’urgence mis en place sous la contrainte par l’Union européenne. On a sauvé – provisoirement ?- la Grèce, l’Irlande et maintenant le Portugal de la faillite de leur système bancaire. On a pu observer que les marchés financiers, c’est-à-dire vous et moi et quelques centaines de millions d’épargnants gros, moyens et petits, se conduisaient comme des harceleurs de cours de récré. Dès qu’ils ont repéré un pas beau, un faiblard, un boiteux dans les parages, ils s’acharnent sur lui. Plus la tête de Turc fait des efforts pour se plier aux exigences de ses tortionnaires, plus les coups pleuvent. En l’occurrence, cela consiste à barrer aux pays visés l’accès au crédit à taux raisonnable pour financer leur dette souveraine.
L’appel au secours au pion de service, nommé Fonds européen de stabilisation financière ou FMI fera, certes cesser le harcèlement des brutes, mais vaudra à la victime une sévère mise à la diète.
Pendant ce temps, les harceleurs, qui se partagent la monnaie extraite des poches des Etats débiteurs, se cherchent une nouvelle proie dont ils pourraient tirer encore plus de profit.
Tout le monde a donc maintenant les yeux tournés vers l’Espagne, dont l’endettement privé est colossal en raison de la bulle immobilière qui a pris la taille d’une montgolfière au cours de ces dix dernières années. Les « grands argentiers » de la zone euro ont beau jurer leurs grands dieux que l’Espagne a de la ressource, qu’elle peut et qu’elle doit rebondir, les marchés financiers, qui ont la cervelle d’une créature de Frankenstein, n’en croient pas un mot. Dans une semaine, peut-être deux, ils vont se mettre, doucement d’abord, puis de plus en plus violemment à saper le reste de confiance en ce pays des traders. Et après l’Espagne, on murmure que l’Italie…
En Allemagne, principale banquière de l’Europe, la grogne contre la chancelière Merkel, accusée de vider les bas de laine d’outre-Rhin pour soutenir les pays du « Club Med », se prend claque électorale sur claque électorale en dépit d’une situation économique satisfaisante et un taux enviable de baisse du chômage.
Où en sera l’euro en mai 2012 ? Ceux qui font des pronostics pessimistes (Emmanuel Todd l’imprécateur) ou optimistes (lou ravi Bernard Guetta) ont chacun une chance sur deux de se planter.
La vérité se lit dans le mouvement : le détricotage de l’euro a été freiné, mais est loin d’être stoppé. Pour qu’il en soit ainsi, il faudrait que les peuples aient confiance dans l’Europe pour résoudre leurs problèmes et acceptent sans se révolter les médecines amères que les docteurs de Bruxelles les forcent à avaler. Ce n’est pas impossible, car les Grecs, les Irlandais et les Portugais se sont jusqu’à aujourd’hui montrés relativement résignés à en baver, mais c’est toujours le dernier tour de vis qui fait éclater le bois…
Le « printemps arabe » a fait naître des espoirs insensés dans nos démocraties : enfin, on était sorti de l’alternative diabolique qui condamnait ces pays au choix binaire entre dictature et islamisme radical. Du chaos actuel allait émerger un processus de sortie de l’oppression et de la misère économique dirigé soit par de nouvelles élites issues de la société civile, soit par des monarques ou dictateurs devenus éclairés par la vertu de l’instinct de conservation.
Pour l’instant on navigue dans la zone dangereuse : les révolutions arabes ont accru l’instabilité dans tout le bassin méditerranéen. La tension monte dangereusement entre Israël et ses voisins. La crise libyenne s’achemine vers une partition du pays, et les bruits qui nous parviennent d’Egypte peuvent faire craindre que les surenchères électorales des prochains mois favorisent une relation apaisée avec l’Etat juif.
Les Etats-Unis sont entrés en campagne électorale avec la déclaration de candidature de Barack Obama. Comme on a déjà pu le constater avec le retrait de l’aviation américaine des opérations de bombardement des troupes de Kadhafi, cette période n’est pas favorable à la prise de décisions impopulaires, même si elles semblent nécessaires.
L’Iran profite de ce que le monde regarde ailleurs pour poursuivre ses visées d’hégémonie régionale, auxquelles ses ambitions nucléaires sont liées. Son pouvoir de nuisance est accru par l’affaiblissement des pétromonarchies et les incertitudes égyptiennes.
Nos hommes politiques, au moins ceux d’entre eux qui regardent au-delà de leur circonscription électorale, ne sont pas des naïfs : ils savent que l’on ne peut pas promettre le paradis à des électeurs qui n’en croiraient pas un mot. Mais ils n’osent pas, non plus, leur dire que le pire est à venir, car le danger qui nous menace est plus diffus, plus insaisissable que celui qui avait permis les envolées rhétoriques de Winston Churchill.
Ce qui doit faire peur, ce n’est pas Marine Le Pen, épiphénomène de nos angoisses légitimes, mais le manque de courage politique de ses adversaires. Oui, le monde qui vient est dangereux, on risque d’en baver, et l’avenir radieux est reporté sine die. Tant que ce message n’aura pas franchi les lèvres de ceux qui aspirent à nous guider, on ne croira pas aux remèdes qu’ils proposent pour guérir un mal dont ils nous cachent la vraie nature.
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