En début de semaine, Myriam El Khomri a fait, chez elle, un malaise. Chargée de porter une loi sur le travail contestée à gauche par les centaines de milliers de signatures déjà recueillies pour la pétition qui s’y oppose et l’appel, malgré un front syndical fissuré, à une grève générale et à des manifestations le 9 mars, elle concentre sur elle toutes les critiques.
À vrai dire, depuis sa nomination, on ne peut pas dire qu’elle soit la chouchou des médias. Si elle se compare avec Macron, devenu le wonderboy du gouvernement qui peut se livrer à toutes provocations sur le temps de travail, les entrepreneurs qui souffrent plus que les salariés ou même à des considérations sur l’illettrisme du prolétariat, elle doit trouver que c’est plutôt cruel. Les sondages, si on veut bien leur accorder le crédit qu’ils ne méritent pas forcément, nous répètent à l’envi qu’il figure parmi les hommes politiques préférés des Français. Macron, c’est Trump qui aurait fait de la philo et qui serait poli. Plus il méprise, plus on nous dit qu’il est aimé. Ou l’électeur est masochiste ou la communication du ministre de l’Economie est remarquablement faite sans compter la bienveillance patronale jamais démentie.
Mais voilà, ce n’est pas lui qui porte la loi travail, c’est Myriam El Khomri. Et alors que Macron et son tout nouveau club pourrait finalement sans trop de problèmes tenter sa chance aux primaires de la droite, Myriam El Khomri, elle, est de gauche. Et oui, c’est là son problème, c’est là son malheur. Ce n’est pas moi qui dis qu’elle est de gauche, c’est son ancienne plume qui a claqué la porte le 29 février. Il s’appelle Pierre Jacquemain, il vient de l’entourage de Clémentine Autain et il s’est confié à L’Humanité dans un entretien largement repris ailleurs. Il n’est pas parti pour incompatibilité d’humeur comme les directeurs de cabinet de Taubira, il est parti pour des raisons politiques, ce qui est plus grave. On en oublierait presque en effet que la politique n’est pas (seulement) ce théâtre d’ombres où des égos plus ou moins cyniques s’affrontent pour le pouvoir ou pour de bonnes planques. Que nous dit en substance Pierre Jacquemain ? « C’est une militante de gauche que j’ai toujours respectée. Elle a fait un excellent travail en tant que secrétaire d’Etat, elle s’est battue pour obtenir des arbitrages favorables et mener une politique digne de ce nom. C’est pourquoi lorsque, trois mois plus tard, elle m’a proposé de la suivre au ministère du Travail, je n’ai pas hésité. C’est un beau ministère, qui s’est malheureusement détourné de sa mission première : défendre les salariés, dans un contexte économique troublé. Au départ, je pensais que je serai utile. » Et puis il s’est aperçu qu’un projet de loi à l’origine plutôt social-démocrate et inspiré du rapport Badinter s’est retrouvé vidé de sa substance et rempli par une autre, celle là franchement libérale, sans même qu’on puisse rajouter le préfixe « social ». Avec même, comme cerises vexatoires sur le gâteau, des mesures qui indiquent la violence de la chose. On prendra au hasard la possibilité de faire travailler de facto un apprenti de 15 ans dix heures par jour si le besoin s’en fait sentir ou encore la réduction possible des jours de congés pour le décès d’un conjoint. Ça, même la droite n’aurait pas osé.
Alors on pourra toujours railler le malaise de Myriam El Khomri, y compris à gauche quand on dit que n’ayant jamais travaillé, elle a connu un burn-out, chose si fréquente chez les salariés de la France des années 2010 que le frondeur Benoît Hamon veut le faire reconnaître comme maladie professionnelle. Ce poujadisme qui consiste à dire, de manière un peu courte, que les hommes et les femmes politiques se la coulent douce et qu’ils bénéficient d’avantages faramineux est un peu facile, surtout si on compare avec ce que peut gagner de grands patrons, même quand ils plantent l’entreprise comme ces retraites chapeaux tellement indécentes que PSA vient de revoir le système.
Non, un ministre, ça bosse, surtout quand il porte un projet de loi. Si en plus, il porte ce projet de loi et s’aperçoit qu’il est de plus en plus contraire à celui qu’il souhaitait et que vous servez de marionnette ou de paratonnerre, il y a effectivement de quoi faire un malaise, transformé par le toujours élégant François Hollande en « accident domestique » . Bien entendu, pour le président de la République, elle a dû se brûler avec l’eau des nouilles. Il ne lui viendrait pas à l’idée qu’insultée de toute part, forcée progressivement à défendre l’indéfendable, elle ait pu vraiment se sentir mal. C’est en cela qu’il est, comme souvent, étranger à toute grandeur, voire à toute humanité.
On peut être un opposant résolu à cette loi, ce qui est mon cas, et reconnaître ce que ce malaise nous dit des différentes manières de faire de la politique. Le malaise de Myriam, c’est sur un mode mineur, heureusement pour elle, le suicide de Pierre Bérégovoy. À un moment, ils ont été de gauche. Et Bérégovoy, le 1 er mai 1993, a dû se dire, après une défaite historique, que non seulement il avait trahi ses idées mais que cette trahison n’avait servi à rien même pas à rebondir pour sauver ce qu’il pouvait encore l’être de son idéal des commencements.
Il arrive qu’en politique, pour ceux qui croient à leurs idées, le corps se venge. Parce que la politique, comme l’amour, ça se fait aussi avec le corps. On peut faire l’amour sans amour à l’occasion, mais si on ne fait que ça, on sombre.
On remarquera d’ailleurs ce genre d’autopunition psychosomatique n’arrive pas aux animaux à sang froid dépourvu de convictions et donc d’amour. On vous laisse faire la liste mais ce qui est certain, c’est que Myriam El Khomri n’en fait pas partie.
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