Les lycéens, qui passent actuellement les épreuves du bac, le savent bien : on peut obtenir son diplôme du premier coup, ou au rattrapage. Pour la notoriété médiatique c’est un peu la même chose. On peut très bien toucher le public à contretemps, voire post-mortem. Ainsi, depuis quelques mois on parle beaucoup de Philippe Muray dans les médias, alors que jadis son œuvre – sans provoquer l’indifférence des journalistes – ne suscitait pas un tel engouement. La raison de ce repêchage tardif de Muray (1945-2006) est piquante : il s’agit d’un spectacle. Muray sauvé par un spectacle flamboyant, et même plus : par une fête. Cette fête c’est évidemment la délectable lecture que Fabrice Luchini donne en ce moment de chroniques de Muray, au théâtre de l’Atelier, devant un public ébahi. Un public très divers, qui au début ne regroupait que les dangereux fanatiques du poète, mais qui s’est fortement élargi au point de faire de ce spectacle un moment incontournable de la vie culturelle parisienne, qui tournera peut-être même en province la saison prochaine.
L’effet immédiat est donc une couverture médiatique importante, et une presse unanime (à l’exception notable de Télérama…) à saluer tant la prestation de Luchini que la plume de Muray. Le Figaro a évidemment largement contribué à remettre l’auteur de Après l’histoire sur le devant de la scène intellectuelle. Plus étonnant… le journal Libération, que n’a absolument jamais épargné Muray pour son suivisme sociétal acharné, a consacré jeudi dernier – jour de manif festive rythmée par les vuvuzelas – un dossier élogieux à l’écrivain. Une double page inattendue composée d’un excellent article très documenté de Philippe Lançon « Exorcismes spiritueux » ; ainsi que d’une touchante lettre inédite de Muray à sa femme. Le tout accompagné d’un gigantesque portrait de l’écrivain.
L’œuvre de Muray mise, ainsi, au cœur de la machine à célébration (qui est aussi une machine à neutraliser) pourra t-elle survivre ? Faut-il espérer un monde où tout le monde lira Muray ? Un univers où il sera au bac de français ? Des villes avec des rues et des salles des fêtes « Philippe Muray » ? Une statue géante de l’écrivain, à proximité du Ministère de la culture ? Des livres de Muray à disposition des estivants de Paris-Plage ? La secte des fanatiques intégristes de Muray s’interroge, en souriant de bonheur.
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