Maximum Muray


Maximum Muray

Muray

Caroline Noirot dirige les éditions des Belles Lettres, où paraît le Journal de Philippe Muray.

Élisabeth Lévy. Les Belles Lettres sont l’éditeur « historique » de Muray. « Mon imprimeur », disait-il de cette maison. Est-ce que vous jugez cela vexant ? 

Caroline Noirot. Non : vous savez, il y a de bons et mauvais imprimeurs…

On pourrait se demander s’il a sa place au milieu de vos très vieux auteurs, mais, au fond, on peut y trouver une certaine logique : ce serait un classique au milieu des classiques…

Il est un peu tôt pour en juger, c’est le temps qui fait d’un auteur un classique. De fait, nous éditons peu de contemporains : l’essentiel de nos activités consiste à publier des éditions critiques de tous les textes latins et grecs transmis depuis l’Antiquité. C’est une immense tâche, dont nous avons déjà accompli les deux tiers. Ce domaine antique est sans aucun doute la partie la plus productive de la maison : bien qu’elles passent inaperçues du grand public, entre douze et quatorze nouveautés sortent chaque année.

Vous êtes entrée aux Belles Lettres en tant que stagiaire en 1995, pour finalement présider la maison depuis 2007. C’est votre prédécesseur, Michel Desgranges, qui avait commencé à publier Philippe Muray, alors inconnu du grand public.

Philippe Muray est un auteur que Michel Desgranges jugeait extrêmement important, et qu’il a suivi tout en lui accordant une totale liberté. Il a publié neuf de ses livres. C’était son ami – ils se sont connus en 1969 – mais aussi un écrivain qu’il admirait. À son décès, Michel Desgranges a rendu hommage à l’homme, « bien élevé et intègre », ou, selon l’expression américaine, qui a plus de force que le français : « a truly decent man », mais aussi à l’« auteur parfait » qu’avait été Muray, en rappelant que jamais les questions d’argent n’avaient pollué leurs relations, que jamais non plus il ne s’était plaint, comme tant d’autres, que son nouveau livre ne soit pas en pile dans telle ou telle librairie, et que jamais il ne l’a harcelé pour connaître les ventes. S’il avait des exigences, elles portaient seulement sur l’édition proprement dite du livre et sur sa présentation.

Et vous, comment avez-vous découvert Muray ?

En travaillant aux Belles Lettres, tout simplement.[access capability= »lire_inedits »] Dans la maison, tout le monde m’en avait parlé comme d’un auteur important, qu’il fallait absolument lire. Personnellement, je ne l’ai pas connu. Mais je me souviens par exemple de la préparation de son recueil de poèmes, Minimum Respect. Nous cherchions une idée pour le bandeau, et c’est Desgranges qui l’a trouvée : « Maximum Muray », c’était excellent ! La sortie des livres de Muray était une fête pour nous tous, de la fabrication à la promotion.

Muray était toujours très attentif à chaque virgule, soucieux de chaque détail typographique. Il m’a raconté que l’un des tomes des Exorcismes était parti au pilon parce qu’à l’impression les italiques étaient apparues en gras… Comment se déroule aujourd’hui l’édition du Journal ?

Je me souviens de l’anecdote que vous citez, et je conserve encore l’échange de fax entre Michel Desgranges et Muray – Internet n’existait pas encore. Aujourd’hui, mon interlocutrice, c’est Anne Sefrioui, et notre exigence de qualité reste la même, dans la ligne de ce que Philippe Muray aurait certainement souhaité. Nous avons été en contact permanent pour choisir la typographie, la toile de la reliure, la couverture. Et quand il y avait un doute sur le texte, elle a pu vérifier sur les manuscrits originaux. En fait, je ne suis pas l’éditrice de Philippe Muray mais celle d’Anne Sefrioui ! Nous avons passé de longs moments à prendre des décisions pour ce Journal, et pas seulement sur les questions techniques. Nous nous entendons fort bien, et nous partageons la volonté de faire les choses le mieux possible.

C’est d’abord à elle que nous devons la publication du Journal, dont le premier volume paraît moins de dix ans après la mort de Muray. Pour les lecteurs et, je suppose, pour l’éditeur, c’est un événement considérable – et très émouvant. Quelle place le Journal occupe-t-il dans l’œuvre, selon vous ?

Ce Journal en est la matrice ! Ce n’est pas un titre de plus, c’est un livre important, et même fondamental, dont la publication s’étalera sur plusieurs années. Ce premier volume va sans doute étonner beaucoup de lecteurs de Muray.

J’ai moi-même été déconcertée, surtout par les cent premières pages, où il est à la fois assez obscur et terriblement tourmenté.

Oui, c’est Muray avant Muray, ou Philippe plus que Muray ! Ces textes m’ont énormément touchée. À 33 ans, quand il commence son Journal, il a tous les doutes, toutes les hésitations de la jeunesse. Mais les notes qu’il a ajoutées dix ans plus tard sont extrêmement drôles !

Mais dans le Journal lui-même, on découvre un Muray qui manque quelque peu d’ironie…

En fait, les années couvertes par ce tome, 1978-1985, constituent une période charnière dans sa vie d’écrivain, et son séjour aux États-Unis, en 1983, a été déterminant. On a le sentiment que sa vision du monde change à partir de là. Quand j’ai commencé à lire Muray, une phrase de Nietzsche de la Généalogie de la morale que j’avais recopiée étant jeune m’est revenue en tête : « Cela, un grand homme ? Je ne vois jamais que le comédien de son propre idéal. » J’ai pensé alors qu’il s’était donné pour but de ne jamais être ce comédien.

Il ne doutait pas d’être écrivain, et même un grand écrivain, mais le roman est resté pour lui problématique. Avez-vous le sentiment d’une œuvre inachevée ?

Je le vois comme un écrivain et comme un romancier. Il était extrêmement dur avec lui-même, d’une exigence exceptionnelle et d’une grande honnêteté. Le Journal rend justement bien compte de l’énorme travail qu’il a fourni, du sérieux avec lequel il considérait son activité.

Ce grand maître de la langue française est-il traduisible ?

Parfaitement ! Faire connaître Philippe Muray en Allemagne ou en Italie n’est pas impossible du tout. En réalité, ce n’est pas un problème de langue, ce qui rend difficile une traduction, pour les éditeurs étrangers, ce sont plutôt les références, le contexte, qui restent très français.

À part Muray, quels auteurs vivants publiez-vous en ce moment ?

Serge Rezvani, par exemple, qui est auteur de romans, de pièces de théâtre, de poèmes, qui est aussi peintre et musicien, bref, un artiste complet. Nous publions aussi des auteurs débutants, comme Muray l’était en 1978, et que nous suivrons comme il a été suivi.[/access]

*Photo : Hannah.

Ultima Necat I: Journal intime 1978-1985

Price: 35,00 €

19 used & new available from 25,00 €

Janvier 2015 #20

Article extrait du Magazine Causeur



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Christine Lagarde, islamolibérale
Article suivant Syriza : victoire à la Pyrrhus en Grèce
Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération