Il y a cinq ans, la France découvrait, accroché à la paroi du Syndicat de la magistrature, le « mur des cons », auquel étaient épinglés un certain nombre de justiciables et de personnalités. Aujourd’hui s’ouvre le procès de sa présidente de l’époque. Mais la justice a trop tardé, le mal est fait.
Ainsi, cinq ans après le scandale lié à l’existence, dans un local syndical ouvert à tous les vents, d’un panneau ou étaient épinglées des photos de justiciables et d’autorités de l’État affublés du qualificatif de « cons », le tribunal correctionnel de Paris va devoir enfin donner une suite à ce qui constituait dès le départ un étonnant scandale. Scandale qui a laissé dans l’opinion une trace cuisante et indélébile.
Fillon, lui, n’a pas attendu cinq ans
Tranquilles, les organisations syndicales de magistrats, tout en psalmodiant le mot « indépendance », continuent à revendiquer la partialité pour les magistrats qu’ils prétendent représenter. Comme ils l’ont montré en approuvant bruyamment la destruction par les voies judiciaires du principal candidat à l’élection présidentielle, favorisant ainsi le triomphe d’Emmanuel Macron. Pour assister ensuite, sans piper mot, à l’instrumentalisation politique de l’appareil judiciaire, d’abord mobilisé contre l’opposition, et ensuite pour protéger les équipes au pouvoir.
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On se permettra quelques observations à titre liminaire. Tout d’abord, on peut constater que l’urgence utilisée à l’encontre de François Fillon, et dont on nous prétendait contre l’évidence qu’elle était normale, est donc bien à géométrie variable. Ensuite, lorsque l’on voit comment le parquet s’est battu bec et ongles pour éviter toute suite judiciaire – obéissant sûrement à des réflexes de protection corporatiste et allant probablement au-devant des souhaits du pouvoir en place – on se dit que le mal est vraiment profond.
Les magistrats nous prennent pour des…
Initialement, ce qui était parfaitement logique, le Conseil supérieur de la Magistrature (CSM), avait été saisi par Christiane Taubira, garde des Sceaux, de l’aspect éventuellement disciplinaire de l’invraisemblable manquement. Par un communiqué long et juridiquement charpenté, celui-ci a soigneusement refusé de se saisir du problème. On pouvait sourire de cette circonspection à la lecture de la tribune libre publiée au moment du scandale dans le journal Le Monde, sous la signature de Nicolas Blot (juge d’instruction, ancien secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats) et d’Evelyne Sire-Marin (vice-présidente, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature). Intitulé « Mur des cons, les raisons d’un affichage », cet article, au-delà de l’habituel plaidoyer pro-domo, nous offrait un assez joli collier de perles, dont certaines méritaient vraiment enchâssement. Reflet d’un état d’esprit partagé chez nos amis magistrats, à qui on rappellera quand même qu’ils officient, jusqu’à nouvel ordre, au nom du peuple français. Jetons à nouveau un coup d’œil sur ce texte en rappelant d’abord, que les deux signataires s’expriment, non pas, au nom de leurs organisations syndicales respectives, mais en tant que magistrats en exercice.
On retrouve, pour commencer, la mise en cause, quasi-routinière, de l’activité législative du Parlement. Montesquieu, connais pas ! « Une vingtaine de lois s’empilent ainsi jusqu’en 2012 : à chaque fait divers sa loi, à chaque problème de société sa sanction pénale, sans réflexion. » C’est vrai ça ! Ces parlementaires de la République élus au suffrage universel pour élaborer et voter la loi, ils ne réfléchissent pas !
SOS magistrats en danger !
Et puis, la justification de l’existence du totem : « Ce ‘mur des cons’ n’est-il pas la réaction affective, hystérique, magique, d’une partie de ce corps social en danger, celui des magistrats ? N’est-il pas une sorte de maraboutage de l’ennemi, un peu comme on enfonce des aiguilles dans la photo de son adversaire ? » Un corps social en danger ? Certes, tout est relatif, mais il semble pourtant qu’il en est d’autres, dans ce pays, nettement plus menacés, et qui ont d’ailleurs commencé à le faire savoir. Les magistrats céderaient-ils à la concurrence victimaire ? Ensuite, il s’agirait d’une réaction affective, hystérique et magique. Houlà, on est carrément dans le syndrome. J’ai connu (il y a longtemps) un magistrat qui, présidant une chambre correctionnelle, tirait le thème astral des gens qu’il allait juger. Je le pensais minoritaire, mais constate que ce n’est pas le cas. Il y aurait donc des cours de vaudou à l’Ecole nationale de la magistrature, des marabouts sénégalais ou haïtiens comme enseignants ? Et si l’on comprend bien, les représentants de l’exécutif de l’époque, du législatif et les justiciables, tous présents sur le mur, sont des adversaires ?
Malheureusement, ce n’est pas fini, car vient la définition de l’impartialité portée par les deux plus grandes organisations syndicales. « Une fois de plus, cette affaire va servir à défendre une conception abstraite et surannée de l’impartialité du juge, que sous-tend le code de déontologie des magistrats publié en 2010 par le CSM (Conseil supérieur de la magistrature) : le juge doit être transparent, sans sexe, sans opinion et sans engagement. » Comment des magistrats formés, disposant de hautes responsabilités peuvent-ils proférer de pareilles énormités et revendiquer ainsi une impartialité à géométrie variable ? Mais, chers amis magistrats, nous ne vous demandons pas d’être personnellement transparents, asexués ou sans opinions politiques. Mais que vos décisions le soient ! Vous ne les rendez pas à titre personnel, en tant que femmes (ou hommes), en tant qu’électeurs, ou en tant que militants, mais au nom du peuple français. Mesurez-vous le caractère fondamental de cette formule ?
Cette sidérante revendication de la subjectivité et de la partialité, qui se nourrit d’une négation des principes qui fondent l’organisation de la justice, est aussi inquiétante que révélatrice.
Circulez, c’est du passé !
On ajoutera un dernier bijou qui, derrière la désinvolture d’expression, est quand même assez effarant. Par l’intermédiaire de leurs anciens dirigeants, les organisations syndicales donnent les consignes. « Bien sûr, les plaintes en diffamation, injure publique ou privée des malheureux nominés du ‘mur des cons’ n’aboutiront à aucune condamnation pénale du SM, car il n’avait nulle intention de diffuser ces images strictement privées. » C’est donc plié, il n’y a plus rien à voir ?
Le droit de la presse (puisque c’est de lui qu’il s’agit) est particulièrement délicat à manier et à interpréter. Les spécialistes de cette matière sont partagés sur son application à ce cas d’espèce. Diffamation ou injure ? Bonne ou mauvaise foi ? Diffusion publique ou privée ? Sachant que la diffusion privée est également pénalement répréhensible, il y a quand même matière à discussion judiciaire, et il appartiendrait au juge de trancher. Eh bien non, c’est tout vu. Deux éminents magistrats, qui se réclament de leurs précédentes responsabilités syndicales nous ont déjà donné la décision. Il n’y aura « bien sûr » pas de condamnation pénale. Parce qu’il ne doit pas y en avoir ? C’est vrai ça, à quoi bon un débat judiciaire contradictoire ? De son côté le parquet a scrupuleusement appliqué la consigne en se battant pour éviter que cette affaire vienne à une audience correctionnelle.
Le mal est fait
Ce qui est quand même un peu étonnant, c’est cette constance dans l’expression de telles énormités. On comprendrait que les « épinglés » soient un peu hésitants lorsque qu’on leur demande de faire confiance à la justice de leur pays. La seule véritable réponse de la République aurait dû être de donner à ce qui constitue un véritable scandale les suites disciplinaires qu’il méritait. Cinq ans après, la décision à venir quelle qu’elle soit, de relaxe ou de condamnation ne servira à rien.
Il y a 13 ans, après l’affaire d’Outreau, j’avais publié dans Libération, un article pour déplorer la tentation autiste des magistrats : « La tentation de l’autisme est pourtant une stratégie risquée pour le corps lui-même. Est-il sûr que l’opinion publique française s’en contente, alors qu’elle se méfie désormais de sa propre justice ? »
Clairement, les choses ne se sont pas arrangées.
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