S’il ne fallait prendre qu’un seul exemple pour résumer la dérision du temps, c’est dans les locaux du Syndicat de la magistrature qu’il faudrait aller chercher et trouver. Le « mur des cons », puisque c’est ainsi qu’il faut le nommer, réunit tous les signes du moment présent : ricanement généralisé et aveuglement idéologique. Tout y est dans ce qui est présenté comme un geste de potache. Tout y est, y compris l’abject : parmi les cons affichés figure le général Philippe Schmitt, père de la jeune Anne-Lorraine, assassinée en 2007 dans le RER par un détraqué récidiviste.
Ainsi, on peut imaginer que pour le Syndicat de la magistrature, le père d’une victime, fille de militaire (donc facho) blonde (donc raciste) catholique (donc réac) allant à la messe (donc ultraréac) réunit toutes les qualités requises pour être qualifié de « con ». Ce ricanement affiché, cette « plaisanterie de potache » qui se veut pleine d’humour, n’aurait pas dû être donnée à voir ni à être rapportée. Présenter le père de la victime comme un « con » révèle en contrepoint l’estime portée au violeur assassin. Cette belle pensée de justice ne devait pas être vue puisqu’elle faisait partie de l’intime du Syndicat de la magistrature. Et tout le monde sait, bien évidemment, que le respect de l’intime et du privé font partie des exigences professionnelles de la justice et du journalisme dans ce pays.
Pour avoir montré ces images, un journaliste de France 3, Clément Weill-Raynal, est dénoncé par la section SNJ de France Télévisions qui réclame contre lui des sanctions pour avoir sali l’honneur de la chaine où il travaille. Voilà le journaliste convoqué par sa direction et menacé de sanctions, sinon de licenciement. La faute de Weill-Raynal aurait consisté à donner à voir ce qui aurait dû rester dissimulé aux yeux des investigateurs. Soudain soucieux du secret ou de l’intime, voilà tous ceux qui font profession de foi de justice pour réprimer les turpitudes des puissants ou d’investigation pour révéler les vérités cachées pour « porter la plume la où ça fait mal », voilà tous ces gens pleins de vertus soudain offusqués par cette mise en lumière. Voilà un syndicat de journalistes qui réclame une sanction contre un de ses collègues au nom de sa vision sélective de la déontologie de la profession. Voilà un autre syndicat de juges qui affiche son mépris de la justice qu’il est censé rendre au nom du peuple français : en brocardant les victimes, il donne raison aux coupables. Il faut bien dire que l’air du temps sert de terreau à cette confusion.
Toute l’actualité de ce printemps tardif est nourrie de ce pot pourri de mensonges, de tricheries, d’impostures ou de trucages de diverses formes et d’intensité variable. Il en résulte un air du temps détestable, nauséeux, poisseux qui fait sans doute le miel (excusez du peu) des dîners en ville mais interdit de penser à ce qui pourrait nous donner un peu de plaisir à vivre ensemble. Dans ce moment fait de rumeurs répugnantes et de nouvelles accablantes, le ragot et le commérage semblent avoir pris le pas sur la réflexion, à croire que le monde actuel se résumerait à la basse cour médiatique où caquètent en désordre faux amis et faux semblants, faux culs et fausses vertus. Entre l’indignation feinte, la morale invoquée pour les autres, la vertu qu’on n’a pas, au bal des tartuffes, ni les juges ni les journalistes ne seront à l’orchestre. Le moment est glauque et tout le monde s’en repaît avec une sorte de jubilation. On en rit et on en rit encore et on a bien tort d’en rire car c’est le reflet de ce que nous tous avons accepté que ce monde soit, par petite lâcheté, par petits arrangements, par petits compromis ou par grandes compromissions, par couardise, par paresse, par fatigue, lassitude, par dérision.
Nous rions, mais de qui rions-nous ? Alors que se multiplient les comités d’éthique, les cellules de crise et autres observatoires de la vulgarité, qui dénoncera ce « mur des cons » comme étant d’abord la sinistre dérision de la République ?
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