Municipales : où sont passées mes lunettes ?


Municipales : où sont passées mes lunettes ?

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Je dois suivre les soirées électorales depuis, disons, l’âge de 15 ou 16 ans, quand je ne suis pas requis par la présidence d’un bureau de vote, qui vous prend douze ou treize heures d’affilée, dépouillement des résultats  compris.  C’est l’avantage de naître dans une famille très à gauche (ou très à droite, d’ailleurs) : la politisation précoce. Car on n’est jamais assez politisé, surtout par les temps qui courent, où plein de gens d’horizons très différents nous expliquent avec une insistance suspecte où se mêlent la fausse commisération et le vrai mépris que la politique, ça n’a plus aucun pouvoir et que les politiques, c’est tous les mêmes, voire c’est « tous pourris ». D’ailleurs, les gens qui pensent ça ne disent plus « les politiques » mais « les politiciens ». Le diable du poujadisme soft se niche dans les détails de la connotation.

Alors, nous disent ces bonnes âmes, autant laisser « faire ceux qui savent », – c’est la version technocratique- ou ceux « qui vont rompre avec l’UMPS » , – c’est la version populiste-, les deux visages du même Janus, puisque la version technocratique a tout intérêt à ce que la version populiste monte un peu, mais pas trop, afin de se présenter comme unique recours. Et ainsi, pendant que les chiens de l’abstentionnisme aboient, la caravane du libéralisme à la sauce bruxelloise peut passer tranquillement.

Voilà pourquoi l’on se retrouve avec une soirée électorale qui laisse un profond malaise, non pas parce qu’elle serait favorable ou défavorable à la gauche ou à la droite. Qui se souvient des législatives de 93 ou du premier tour de 2002 sait ce qu’est un vrai jeu de massacre pour un électeur de gauche, de même que la présidentielle de 88 ou les régionales de 2010 pour un électeur de droite. Non, le malaise était ailleurs. Il était dans le caractère profondément illisible des résultats, d’autant plus illisible que chacun s’efforçait de masquer ce fait en adoptant une attitude étrange, décalée, mécanique.

Les excellences socialistes comme Sapin et Moscovici avaient l’œil mort et le débit ralenti des consommateurs de Prozac. Hypothèse évidente : ils étaient sonnés par la défaite, Moscovici ayant même trouvé le moyen de perdre dans sa bonne commune de Valentigney. Ou bien, autre possibilité, ils étaient affolés à l’idée de perdre assez vite leur ministère. Ou encore, ils venaient de s’apercevoir que de manière confuse, informelle, chaotique, on assistait peut-être à l’émergence d’une autre gauche sur leur gauche, où se retrouvent du PCF avec ou sans le FDG et du FDG avec ou sans les écolos.

Ils avaient, en fait, manifestement envie d’oublier qu’il y avait autre chose que le repoussoir FN pour invalider leur politique comme l’avait montré par exemple la véritable bataille de Stalingrad que fut la Seine-Saint-Denis : malgré des pertes assez lourdes, le PCF et le FDG ont sauvé ou reconquis des villes de plus de cent mille habitants comme Saint-Denis et Montreuil, sans compter Aubervilliers en résistant à l’assaut conjugué, eux aussi, d’un genre de Front républicain, mais un Front républicain antirouge, façon Thiers, qui comportait implicitement le PS, l’UMP,  l’UDI, EELV et bien sûr le FN… Ce qui a permis de faire perdre de vieilles citadelles du communisme municipal comme Bobigny, Saint-Ouen, Le Blanc-Mesnil, Villejuif. Mais enfin, ce qui est apparu de manière concentrée en Seine-Saint-Denis, on l’a vu un peu partout en France. Mélenchon a eu raison de s’intéresser au cas de Grenoble et d’y voir « une lueur d’espoir ». Après tout, c’est une liste écolo et parti de gauche qui a réussi dans une quadrangulaire à mettre en échec le successeur désigné du social-libéral Destot. Alors bien sûr, comme le dit l’ami Daoud, ce n’est peut-être pas eux qui vont mettre tout de suite en œuvre le programme du groupe néo-luddite et isérois Pièces et Mains d’œuvre Mais en faisant un choix écosocialiste de décroissance soutenable dans une grande ville française, on assiste peut-être à la première étape de cette recomposition de la gauche où l’on recherche la martingale pour en finir avec l’hégémonie du PS, un peu à la manière dont a procédé en Grèce, la coalition Syriza de Tsipras qui a renvoyé le vieux PASOK a des limbes quasi-groupusculaires.

Pour la droite aussi, ce n’était pas très clair, voire complètement informe. Il n’est jamais difficile de gagner une élection quand on n’a pas de programme (ou le même que son principal adversaire), et quand on n’a pas de chef non plus. On a bien senti que se créait un axe Juppé-Bayrou-Raffarin. Tout ce monde-là a bien envie d’en finir avec l’ère Buisson. Il semblerait en effet que la tactique qui consiste à faire des câlins avec le FN a moyennement réussi (la maire PCF de Villeneuve-Saint-Georges a été réélue contre une coalition de fait UMP-FN) et que ce sont les modérés de l’UMP et l’UDI qui remportent de belles victoires comme la très symbolique Neuilly où dès le premier tour le candidat UDI avait battu le sarkozyste. Bref, Juppé en recours à fois républicain, européen et comme solution à la guerre des chefs, on sent que ça monte.

Ce qui n’empêche pas, toujours dans le genre autiste, d’avoir assisté à l’hallucinant point presse de Copé, présenté comme la réaction officielle de l’UMP. Il était entouré de vrais leaders d’avenir, avec de belles têtes de vainqueurs, comme Pierre Charon, Roger Karoutchi et Nadine Morano et ânonnait assez péniblement son absence de doctrine sur la France, l’Europe et l’économie qui masquait mal son angoisse à l’idée, lors des prochaines élections pour le parlement de Strasbourg, de devoir faire cohabiter Guaino et au hasard, Alain Lamassoure.

Quant au FN, on voyait bien au visage moins radieux de Marine Le Pen que c’était maintenant que les problèmes commençaient. Cet enracinement après lequel le parti courait depuis des années, il l’avait mais ils l’avait avec les inconvénients qui vont avec. C’est-à-dire que les ténors nationaux ont été traités comme des ténors nationaux, avec une certaine défiance, ce qui prouve bien que les électeurs frontistes eux aussi se méfient des envolées lyriques : Collard, Philippot et Aliot ont perdu assez sèchement. Ce sont des mômes qui ont gagné ailleurs et avec les mômes, on ne sait jamais. Entre la fougue, l’inexpérience et les vieux tropismes extrémistes, là non plus, on n’est pas à l’abri de mauvaises surprises.

Bref, on se retrouve avec deux droites, deux gauches, voire deux FN.  Et, répétons-le, 40% d’électeurs qui n’en on plus rien à fiche. Bonne chance à tous.

 

*Photo : LANCELOT FREDERIC/ SIPA/SIPA. 00680385_000008.



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