Il va enfin y avoir des touristes à Hénin-Beaumont. Ils auront des caméras et une carte de presse, mais au moins, ça fera de l’animation. On peut parier que ça va durer pour les deux ou trois ans à venir. Les journalistes adorent ça, les belles histoires simples qui frappent l’imagination. À quoi ça peut ressembler, des prolos dans un coin vilain comme tout qui ont transformé une ville ouvrière historiquement à gauche en laboratoire du FN ? Ça va filmer sec du côté des friteries et des bistrots, et puis aussi du marché, l’endroit favori de rassemblement des pauvres d’après le guide du Routard des idées reçues.
Après tout, peu importe que l’enracinement du FN ait ici une bonne vingtaine d’années et qu’il se soit approfondi dans un microclimat particulier, celui d’un PS corrompu et d’une ville et d’un bassin d’emploi qui auront connu un vrai désespoir, celui de la fermeture des mines et un faux espoir, presque plus douloureux, celui d’une réindustrialisation ratée dans les années 90 qui débouchera sur un autre échec symbolisé, entre autres, par la fermeture violente de Metaleurop en 2003. On ne verra à Hénin-Beaumont que ce que l’on veut bien voir depuis Paris. Avec les grilles de lectures prédigérées qui iront de l’antifascisme de bac à sable aux sempiternels mantras de « la gauche sans le peuple », du PS qui a trahi la classe ouvrière et du PCF qui est aux abonnés absents. Peu importe aussi que le vote FN d’Hénin-Beaumont et du bassin minier n’ait rien de commun, ni par son électorat, ni parce ce qu’il demande avec celui du Sud composés par des pieds-noirs qui vont en arriver à la troisième génération de rancœur identitaire ou par des retraités aisés qui veulent de la sécurité, encore de la sécurité, toujours de la sécurité.
Non, nous serine-t-on à longueur de reportages et de colonnes, le seul fait majeur de ces élections municipales, c’est la poussée sans précédent du FN. On a déjà oublié sa difficulté à présenter des listes (et leur petit nombre in fine), on a déjà oublié la présence de centenaires, d’alzheimériens ou même de personnes décédées sur celles que le parti de Marine Le Pen est parvenue péniblement à boucler, on a enfin oublié que le FN a déjà eu une expérience municipale, expérience pas franchement heureuse d’ailleurs, en 1995 où toutes les mairies ont été perdues dès le mandat suivant sauf celle d’Orange.
On le voit, c’est tout de même beaucoup plus facile quand l’ensemble du système médiatique se transforme, plus ou moins volontairement, en attachée de presse faussement effrayée et vraiment complaisante. On en arriverait presque à penser que l’on se trouve en présence de chiens de garde cathodiques rendant service à leurs maîtres en faisant croire qu’il n’y a plus d’alternative électorale, désormais, qu’entre des partis libéraux et sociaux-libéraux d’un côté et le FN de l’autre…
On aimerait pourtant ici insister sur un autre enracinement, d’autant plus tranquille et discret qu’il n’intéresse pour l’instant encore personne car il est beaucoup moins spectaculaire, au sens debordien du terme, que celui du FN. Il s’agit des scores réalisés par la gauche de la gauche, à côté du marasme socialiste et de la relative bonne tenue des écolos. Pour aller vite, cette gauche de la gauche correspondrait au Front de gauche si les choses étaient simples. Mais elles ne le sont pas. Le Front de Gauche, composé du PCF, du PG et de diverses organisations comme Gauche Unitaire ou Ensemble, a connu de fortes secousses depuis une petite année, justement à cause de la préparation de ces municipales. Le PCF, pour des raisons historiques et pour sauver des élus, a eu une politique à géométrie variable, partant parfois dès le premier tour avec les socialistes, parfois au sein de listes FDG. Mais il y a aussi Mélenchon, dont le narcissisme parfois envahissant a fait oublier que le Front de gauche, c’était un programme et pas seulement un cartel électoral au service d’un seul homme. Un homme pris d’ailleurs à son propre piège, qui a eu une tactique uniquement faite de coups de gueules médiatiques, ce qui paradoxalement a rendu invisible dimanche soir la très bonne tenue des différentes listes à gauche du PS.
Résultat, du côté de Valls mais c’était déjà la même chose quand Guéant était à l’Intérieur, les scores réalisés par ces listes à gauche du PS ne sont pas comptabilisés en tant que tels, leurs électeurs étant éparpillés façon puzzle sur le site du gouvernement entre « extrême-gauche » (où ils se retrouvent mélangés avec Lutte ouvrière et le NPA), « divers gauche » (là, un comble, ils se retrouvent dans le même sac que des radicaux de gauches ou des PS dissidents) voire « écologistes » quand cette liste de gauche de la gauche, à Brive par exemple, se retrouve avec un mélange de candidats PG et EELV.
Or que constate-t-on si on creuse un peu au-delà de la représentation journalistique convenue et des calculettes simplificatrices de la place Beauveau ? C’est que ces listes de la gauche, présentes partout, font toutes ou presque plus de 5% et souvent des scores à deux chiffres. On voit aussi qu’elles obtiennent ces bons résultats de manière nationale, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, dans les grandes villes comme dans les moyennes. Prenons la plus grande d’entre elles, Paris. Le PCF est parti dès le premier tour avec Anne Hidalgo mais il y a eu une liste FDG malgré tout, qui flirte avec les 5% dans un contexte très défavorable. Mais c’est beaucoup mieux à Rennes, par exemple, là aussi sans le PCF, où cette liste de gauche de la gauche atteint 15%.
Ailleurs, quand le FDG retrouve sa composition classique avec le PCF, les résultats peuvent parfois être spectaculaires comme à Montreuil où le PS est éliminé dès le premier tour. Ou encore à Lille où pour la première fois depuis 35 ans, les communistes ont préféré ne pas partir d’emblée avec les socialistes et jouer la carte FDG, au grand dam de leurs propres directions nationales et départementales. Le résultat est de 6,17%. Plutôt encourageant pour une première, surtout si on détaille quartier par quartier où l’on constate que le vote pour la liste À Lille l’humain d’abord se répartit assez uniformément entre quartiers bobos et quartiers populaires.
Bien sûr, le score de ces listes n’est pas celui du FN (là où le FN est présent) et il est vrai qu’il est plus difficile d’expliquer en temps de crise des enjeux comme la gratuité des transports ou la remunicipalisation de la gestion de l’eau que de limiter son ambition à demander d’armer la police municipale et de mettre des caméras partout. Mais enfin, quand on regarde le score élevé de ces listes de gauche de la gauche comme à Montpellier, Limoges, Nîmes, Avignon, Bourges, Rouen ou même Marseille, on s’aperçoit tout simplement qu’il y a eu une autre façon de dire non au PS (ou à l’UMP) que de voter FN ou de s’abstenir.
Quel que soit le devenir de ces listes au second tour, leur électorat qui est apparu depuis les européennes de 2009 est là et bien là, autour de 7 à 8 % au niveau national et avec une pointe à 11% lors des présidentielles de 2012.
Jusqu’à preuve du contraire, retrouver et consolider ce score dans des municipales aussi défavorables à tout ce qui était estampillé « gauche » à cause de l’utilisation abusive qu’en fait cette droite complexée qu’on appelle encore PS, c’est aussi un enracinement. Un vrai.
*Photo : Xavier Malafosse/SIPA. 00676548_000004.
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